Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/704

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

beaucoup d’amertume contre tel ou tel homme, on n’a pas encore attaqué l’aristocratie comme institution. Au contraire, l’église a été attaquée en fait et en principe, attaquée dans ses hommes et dans ses doctrines. Cependant, ainsi que nous l’avons dit, malgré toutes les controverses théologiques et les idées nouvelles répandues depuis quelques années, ce qu’on a combattu en elle, ce sont beaucoup moins les croyances religieuses qu’elle enseigne que les abus politiques consacrés par le temps. Rapacité, népotisme, amour trop peu chrétien pour les biens de ce monde, hypocrites et tyranniques formalités religieuses (la trop stricte observation du dimanche par exemple), tous ces scandales ont été surtout dénoncés, et ont, comme on peut le croire, beaucoup plus agité le public que les controverses sur la trinité ou la régénération par le baptême. Les romanciers les ont ridiculisés, les journaux les ont enregistrés, le parlement s’en est occupé. Ce sont ces scandales dont l’auteur d’un roman intitulé the Warden, M. Anthony Trollope, nous retrace l’histoire. Le sujet de ce roman est un épisode vivement et dramatiquement reproduit de l’histoire contemporaine. Les personnages sont tous du jour et de l’heure présente ; l’évêque, l’archidiacre, le révérend M. Harding, les légistes, le radical de province John Bold, sont des types actuels, des types de l’année 1855 ou 1854. La situation contre laquelle ils se débattent est la situation précise de l’année où nous sommes. L’opinion publique y a ce degré de susceptibilité qu’elle n’avait pas les années précédentes ; les journaux y crient un peu plus haut qu’autrefois, le radical y a ce degré d’audace que donnent les succès obtenus déjà et la certitude qu’on est soutenu ; il y a dix ans, il n’aurait pas osé s’avancer autant. Les membres de l’église et leurs soutiens sont aussi plus timides et ne sont plus capables de braver l’opinion aussi facilement qu’ils le faisaient naguère. Ces personnages, leur tactique, leurs sentimens, tout révèle une de ces situations délicates et périlleuses, qui indiquent que tout à l’entour est éveillé, que des milliers d’yeux sont ouverts, que des milliers d’oreilles écoutent, que toute sécurité s’est évanouie, que l’impunité n’est plus possible. Le caractère de tous ces personnages, membres, partisans ou ennemis de l’église, c’est une grande indécision et une grande perplexité d’esprit. Les premiers n’osent point défendre trop ouvertement leurs privilèges, et les plus hardis réformateurs n’osent point eux-mêmes trop brutalement les attaquer. Un dernier sentiment de vénération et de respect retient la main prête à frapper. « Qui ne se sentirait saisi de crainte ? dit l’auteur. Quoique des mousses rongeuses défigurent maintenant le vieil arbre et qu’il ne soit en grande partie que bois mort, de combien de bons fruits ne lui sommes-nous pas redevables ! Qui pourrait sans remords abattre les branches sèches du