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n’ayant guère plus de vingt-six ans, était pressé de couvrir par quelques triomphes oratoires sa nullité présente, que Bossuet rédigea, à sa demande, un remarquable écrit sur le Style et la Lecture des Pères de l’église pour former un orateur. Dans cette précieuse note, jusqu’à présent inédite, Bossuet ne se contente pas de conseils et de renseignemens généraux ; il y découvre en quelque façon le fond de soi-même, et donne de précieux détails sur ses propres lectures.

Parvenu à ce degré d’autorité, d’influence, de réputation, on se demande pourquoi Bossuet n’avait pas quitté depuis longtemps les rangs inférieurs de la hiérarchie ecclésiastique. Il est vrai qu’en 1664 il avait été promu à la dignité de doyen de Metz, il est vrai encore que la cure de Saint-Eustache et celle de Saint-Sulpice lui avaient été successivement proposées, et la reine-mère, Anne d’Autriche, avait même songé à lui pour un des évêchés de Bretagne qui étaient à sa nomination ; mais en définitive Bossuet restait simple prêtre, quoique l’opinion publique le désignât instamment au choix de Louis XIV. Un pareil retard était-il, de la part du roi, indifférence ou raisonnable calcul ? M. Floquet a levé tous les doutes en nous apprenant la déplorable fortune de deux proches parens de Bossuet : de François Bossuet, son oncle, secrétaire du conseil des finances, et d’Antoine Bossuet, son frère, trésorier des états de Bourgogne, qui, tous les deux accusés de concussion, mis en jugement et dépouillés de leurs biens, n’évitèrent qu’à grand’peine une condamnation infamante. Par eux, le nom de Bossuet se trouvait donc compromis, et, pour lui rendre sa pureté première, il ne fallut pas moins que les longs efforts du génie et de la vertu de Jacques-Bénigne. Enfin, en 1669, l’évêché de Condom étant venu à vaquer, Louis XIV y appela Bossuet, et comme s’il eût cherché à compenser un oubli apparent par une confiance illimitée, bientôt il déclarait le nouvel évêque précepteur de son fils, à la place du président de Périgny, dont un travail excessif avait abrégé les jours. Cet infortuné courtisan, empressé de céder au pédantisme de Montausier, qui exigeait qu’on enseignât au dauphin l’origine de tous les mots, ménagea trop peu ses forces, et mourut après avoir recueilli dix-neuf mille mots latins dont il savait à fond l’origine et l’histoire. Cette circonstance, moitié lamentable et moitié risible, valut à Bossuet, nonobstant la compétition de Huet, de Ménage et de Pélisson, les fonctions relevées, mais difficiles, qu’il devait remplir au grand avantage de la postérité, sinon de son royal élève, et aux applaudissemens unanimes de ses contemporains.

Peut-être se souviendra-t-on ici d’une insinuation perfide que Voltaire, à la suite de plusieurs libellistes obscurs, s’est efforcé d’accréditer. Bossuet disant un jour « qu’il ne serait jamais ni janséniste ni moliniste, » — « Non, monseigneur, lui aurait-on répondu, on sait bien que vous n’êtes que mauléoniste. » Et cette dure réplique du père La Chaise ou du père Le Tellier aurait été une allusion directe à des relations peu avouables, bien plus à un mariage de Bossuet avec Mlle Catherine de Mauléon. M. Floquet démontre surabondamment toute l’absurde impertinence de cette fable calomnieuse, et, loin de nier d’ailleurs les rapports si purs de l’illustre évêque avec une personne qu’il protégea constamment comme sa fille, il exalte Bossuet par où on aurait voulu l’abaisser, en nous révélant en lui des qualités qui, sans cet incident, seraient probablement moins connues : la tendresse du cœur,