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Au juge mon honneur ne doit pas un denier ;
Libre, je me suis fait mon propre prisonnier.

III


C’est pour nourrir ma mère, et mon fils, et ma femme,
Qu’ici, loin des humains, je vis avec mon âme,
Ne voyant que le ciel, ne voyant que la mer,
Et mangeant un pain dur mêlé de sel amer.

IV


Jour et nuit je n’entends que les âpres rafales
Des vents d’ouest et du nord et les blanches cavales
Qui viennent sur mon roc bondir en hennissant,
Pour reprendre sans fin leur assaut impuissant.

V


Voici mes compagnons : les cravans, les mouettes,
Les courlis, dont les voix ne sont jamais muettes,
L’immense cormoran qui plane en roi sur eux,
Et les jours de gros temps les poissons monstrueux.

VI


Je suis moi-même un roi solitaire et bizarre.
Pour remplacer le jour, quand s’allume mon phare,
Il dit : « N’approchez pas ! » Redoutable signal !
Quel drapeau fut jamais plus fort que mon fanal ?

VII


Tel est mon sort étrange. Et pourtant, je m’en vante,
Je suis l’amour de ceux dont je fais l’épouvante ;
Voyant leurs vaisseaux fuir, je murmure :
C’est bien ! Ils vont, sauvés par moi, prier pour le gardien.

VIII


Ainsi mes tristes nuits passent. Dans la journée
Je tiens ma longue-vue avec bonheur tournée
Vers la pauvre maison où tout ce qui m’est cher
Tourne aussi son regard et son cœur vers la mer.

IX


Quand pourrai-je les voir ? — Ce matin, mon vieux père
Disait, en abordant le bateau d’un douanier :