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hérédité et pour toute sa vie, d’une maladie abominable, expie un crime qu’il a commis dans sa vie précédente. Puisque Dieu est juste et qu’il approprie les conditions aux fautes, mesurons l’énormité du crime à l’énormité du châtiment, et concluons que nous avons devant nous l’auteur d’une trahison noire, d’un parricide ou de quelque action, s’il en est, plus odieuse encore. Nous étions prêts à donner notre argent et nos soins ; notre compassion tarit tout à coup au contact de la théorie, et nous laissons passer la justice de Dieu. Quelle idée dorénavant allons-nous prendre des hommes ? Presque tous sont malheureux ; tous souffrent, tous ont des inclinations mauvaises ; donc tous ont commis des fautes, et il en a fallu de grandes pour que la vie d’ici-bas leur fut infligée. Ainsi à toutes les misères et à toutes les souillures présentes vous ajoutez la masse des misères et des souillures passées ; vous rendez les malheureux coupables, vous rendez les coupables plus coupables. Quel spectacle et quel changement d’aspect va présenter la terre ? Nous pensions être un hôpital de pauvres ; M. Reynaud s’approche et nous avertit que nous sommes dans une prison de forçats. Dorénavant qu’opposera-t-il aux défenseurs de l’esclavage ? Les maîtres ont sur les esclaves non-seulement les droits d’une race d’êtres intelligens sur une race d’êtres stupides, mais encore les droits d’une race de justes sur une race de pêcheurs. Et en même temps que le système consacre l’humiliation des uns, il consacre l’orgueil des autres. Les hommes de génie, les grands artistes, les penseurs peuvent se considérer comme d’une autre espèce que le commun des hommes ; ils viennent d’un monde plus pur ; ils ne sont pas pétris du même limon que nous ; ils sont autant au-dessus de nous que nous sommes au-dessus des brutes. M. Jean Reynaud emploie même à ce sujet des expressions bouddhiques. Il représente certains êtres supérieurs « implorant comme une faveur la faculté de descendre dans les basses sociétés, s’y incarnant, s’y confondant, » sortes d’anges exilés ici-bas par leur volonté pour nous sauver ou du moins pour nous instruire. Des disciples fervens ou des adversaires moqueurs pourraient tirer de là d’étranges conséquences. Si le système est vrai, celui qui l’a découvert est le plus sublime des génies et le plus grand serviteur du genre humain : donc, s’il y a parmi nous des êtres supérieurs revêtus de la forme humaine, l’auteur est un de ces êtres. Vous qui parlez ainsi, vous êtes donc un archange ou tout au moins un ange. Que dire d’une doctrine qui conduit son auteur à la cruelle extrémité d’être un dieu ?

Devons-nous compter encore parmi les preuves du système l’autorité de Platon, de Pythagore, des brahmes et particulièrement des druides, grands amis de l’auteur, qui veut réveiller l’esprit gaulois ?