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Dieu qui est le centre et le but du monde, et l’univers n’est pas fait pour nous, mais pour lui.

Telle est la réponse des théologiens. Parlons maintenant en raisonneur vulgaire, et appliquons de plus près et à d’autres êtres le raisonnement de l’auteur. « Parmi les hommes, dit-il, les uns ont en naissant des inclinations plus mauvaises que les autres, subissent des douleurs plus grandes, ou périssent dès le berceau. Ces laideurs et ces misères indiquent qu’ils ont vécu avant leur naissance et expient des fautes passées. » Or le même argument démontre que les animaux qui naissent ont déjà vécu, car pourquoi certaines espèces sont-elles douces, tandis que d’autres sont sanguinaires ? Pourquoi plusieurs de ces espèces sont-elles fatalement condamnées par leur organisation à devenir la proie et la pâture des autres ? Pourquoi tel animal a-t-il la force, la vigilance, l’agilité, l’intelligence, lorsque son voisin est faible, lourd, paresseux et idiot ? Pourquoi cette inégalité primitive dans la répartition des biens et des maux ? Si Dieu est injuste en créant un homme esclave et un autre maître, il est injuste en faisant de cet animal un mouton, et de cet autre un lion. Si un sot, se comparant à un homme de génie, peut conclure de sa sottise qu’il a préexisté, un bœuf se comparant à l’homme peut conclure de sa stupidité qu’il a vécu avant de naître. Si la mort d’un enfant nouveau-né prouve la préexistence de l’âme humaine, la destruction des œufs de poisson prouve la préexistence de l’âme des poissons. Une morue pond quatre millions d’œufs, et il n’y en a que deux cents qui éclosent : donc toutes les morues avortées ont vécu dans d’autres mondes ; donc les âmes des morues subissent des transformations comme les âmes des hommes ; elles ont voyagé comme nous dans le ciel, et peuvent, comme nous, revenir un jour sur la terre ! Nous voilà dans les doctrines indiennes. Était-ce la peine d’appeler à son aide l’astronomie, la géologie, la chimie, et toutes les sciences modernes, pour retomber dans la religion de Brahma ?

M. Jean Reynaud aime l’égalité, la concorde et la fraternité. Sait-il ce qu’elles deviennent dans son système ? Un homme qui ne croit pas à la vie antérieure peut avoir pitié d’un malheureux imbécile, d’un malade qui souffre, d’un pauvre qui meurt de faim. Il trouvera en soi-même quelques excuses pour le scélérat qu’une intelligence étroite, des passions furieuses et de mauvais exemples auront entraîné au crime. Il sait que tous ces hommes sont de la même espèce que lui-même, qu’ils ne sont coupables d’autres crimes que de ceux qu’ils ont commis sur cette terre, que leur conscience est née pure, qu’ils n’ont point de souillure originelle, et qu’en naissant ils le valaient ; mais que pensera le partisan du nouveau système ? Ce misérable enfant qui se tord sur un grabat, atteint dès sa naissance, par