Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/661

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une entreprise qu’on aurait dû renouveler de nos jours ? Profitons donc au moins de l’expérience et des contradictions de nos devanciers ; ce n’est pas pour rien qu’il y a une histoire de la philosophie, et nous n’avons qu’à ouvrir les yeux pour voir leur folie et pour fuir à cent lieues de la méthode qui les a précipités dans de telles erreurs. Rappelons-nous ce qu’ils ont trouvé dans cette voie. — Dieu est infini, disent les alexandrins, infiniment producteur, et ne peut produire que des choses analogues à sa nature. Et ils concluent que de l’Etre simple et un, principe des choses, dérivent une série d’émanations de plus en plus complexes et de moins en moins pures, dont les dernières sont des âmes engagées dans des corps. — Dieu est un calculateur sublime, dit Leibnitz, et il tire de cette harmonie préétablie du corps et de l’âme le système mathématique et les combinaisons des mondes. — Dieu, étant parfait, dit Malebranche, veut que son ouvrage soit digne de lui, et permet à la liberté de l’homme d’y introduire le péché originel, qui amène le sacrifice inestimable de Jésus-Christ. — Dieu est bon, dit ici système né d’hier, Fourier par exemple, d’où il suit que les hommes sont destinés au bonheur parlait, qu’ils n’ont qu’à chercher la forme d’association convenable, et qu’aussitôt la félicité coulera par torrens sur la terre. — Donnez-moi une opinion quelconque, je me charge de la justifier par la nature de Dieu : donnez à Leibnitz la doctrine calviniste de la damnation éternelle et presque universelle, il démontrera qu’elle s’accorde le plus aisément du monde avec la providence de Dieu. Cette sorte de théologie est comme un puits sans fond d’où l’on tire à volonté la preuve de tous les systèmes possibles. Si l’on considère en Dieu un certain attribut, on en déduira un certain monde ; si un autre attribut, un autre monde ; pour peu qu’on fasse pencher la balance du côté de la justice ou du côté de la bonté, du côté de l’intelligence ou du côté de la puissance, tout est changé. On a touché le ressort central, et l’immense machine roule à droite ou à gauche sans qu’on puisse l’arrêter. Quittez donc cette méthode scolastique et fantastique ; revenez aux faits, aux expériences, à la certitude ; n’exposez plus la philosophie au mépris des sciences. Pour estimer la vôtre à sa valeur, vous n’avez qu’à entrer dans un laboratoire ou dans un observatoire, à l’appliquer à la chimie ou à l’astronomie, et à écouter ce qu’un chimiste ou un astronome vous répondra.

En effet, puisque vous vous êtes servis de la sagesse et de la toute-puissance de Dieu pour expliquer l’histoire des âmes, vous pouvez vous en servir pour expliquer l’histoire des corps. Vous direz du même droit et avec autant de certitude : Dieu produit infiniment ; donc c’est contredire sa nature que d’admettre soixante et un corps simples ou tout autre nombre limité. La chimie, aidée de la théologie,