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mille ans, c’est-à-dire depuis six minutes ; des multitudes effroyables de siècles se sont écoulées avant que l’homme y soit né ; une grande partie de sa surface est inhabitable ; un soulèvement de montagnes, comme il s’en est produit vingt, peut engloutir demain notre race. Il semble que nous ne soyons qu’un accident momentané dans son histoire, et nous n’avons pas d’autres inductions pour décider sur la population des astres. M. Reynaud affirme sans hésiter qu’ils sont tous habités : on dirait qu’il en revient. C’est là son second principe, évident de soi-même, du moins aussi évident que le premier !

Supposons qu’on admette l’âme comme capable de migrations et les astres comme peuplés d’âmes intelligentes ; à tout le moins ce ne sont là que des conséquences lointaines, vraisemblables, et non certaines, qu’on atteint par le désir et l’espérance plutôt que par la certitude et la preuve, qu’on avance au bout d’une psychologie et d’une astronomie comme le couronnement magnifique et chancelant de l’édifice. M. Jean Reynaud gravit tous les étages de cet édifice, escalade la plus haute tour, monte au dernier sommet, parvient à l’extrémité de la flèche la plus aiguë et la plus tremblante, et se dit : « Voici l’endroit convenable pour poser les fondomens de ma bâtisse. » Est-ce un principe d’architecture que de bâtir en l’air ? Examinons cependant le point principal et le plus nouveau du système, — le dogme que notre âme a vécu avant sa naissance, — et comptons les raisonnemens qui l’établissent, d’après M. Reynaud. Le premier est celui-ci : — « Que dirons-nous de tant d’âmes dont le mauvais naturel se fait jour dès le berceau ? Les unes sont hébétées, les autres grossières et brutales. Avant même qu’aucun acte d’intelligence se soit produit, les traits du visage attestent déjà que les plus méchans instincts sont présens et n’attendent que le réveil pour se donner carrière. Ces âmes ont à peine achevé de prendre possession de la vie, et les voilà déjà corrompues ! M’obligerez-vous à penser qu’elles sont sorties dans un état si vicieux des mains de Dieu, dont toute œuvre, avant de s’être elle-même gâtée, ne peut être que parfaitement bonne ? »

Voici une seconde preuve : « Il est impossible de concilier, sans cette hypothèse, la justice de Dieu avec les maladies et les souffrances des enfans. Quoi ! avant que l’âme qu’il vient, selon vous, de créer ait donné signe de vie, Dieu déciderait de sa pleine autorité de la joindre à un corps où elle ne trouvera que douleurs et déchiremens, c’est-à-dire, en d’autres termes, qu’à peine tirée du néant, et tout innocente, il l’envoie sans autre procès au supplice ! Cela peut aller à la toute-puissance d’un Moloch ; mais pour nous, permettez-moi de le dire, une telle idée sent le blasphème. »

Un troisième fait, c’est que « beaucoup d’enfans meurent dès leur naissance.