Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/622

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous ayant communiqué l’espérance qu’ils avaient de voir un pope dans leur famille, nous ne pûmes nous empêcher de lui exprimer ce vœu à elle-même. — Dans quelque temps, lui dis-je, nous repasserons par ici ; puissiez-vous être alors la compagne d’un homme qui aura un double intérêt à conserver votre existence ! — Ses joues se colorèrent d’une rougeur subite, et tandis qu’elle nous révélait ainsi par sa confusion la pensée qui l’agitait, nous remarquions, non sans plaisir, que les flammes du cœur peuvent s’allumer dans les solitudes de la Sibérie aussi bien que dans le brillant tumulte de nos salons d’Europe. »


Il est difficile de concilier ces privilèges des popes, je veux dire l’empressement que leur témoignent les familles, avec l’aversion superstitieuse dont ils sont souvent l’objet. M. Hill nous apprend que ces popes, si vénérés à l’église, sont exposés dans la rue aux plus étranges affronts. Quand un Russo-Sibérien sort de chez lui pour conclure quelque affaire importante, il ne franchit pas le seuil de sa maison avant de s’être assuré que la première personne qu’il rencontrera ne sera pas un pope. La rencontre d’un pope en pareille circonstance est un pronostic de malheur. Veut-on échapper à l’influence fatale, il n’est qu’un seul moyen : c’est d’aller droit au prêtre et de cracher sur sa barbe (spitting upon the beard of the priest !). Sans doute il y a d’honnêtes Russes qui se résignent à subir les conséquences du mauvais sort plutôt que de commettre un acte aussi odieux, surtout, ajoute plaisamment le voyageur anglais, si l’affaire qu’ils vont conclure n’a pas grande importance ; mais quelle condition que celle du pope, exposé sans cesse à se voir outragé de cette façon ! Si c’est une femme qui fait cette rencontre si redoutée, le remède du mal est moins violent ; il suffit qu’elle lance une épingle sur cette barbe maudite. Cette superstition ridicule et barbare remonte, dit-on, aux mœurs farouches du XVe siècle. Un pope a raconté à M. Hill les efforts qu’il a tentés pour l’extirper ; tous les raisonnemens furent vains, toutes les preuves impuissantes. Quels que soient les progrès accomplis depuis cinquante ans par le pays des tsars, progrès dont le peuple russe est fier et qu’il nous reproche d’ignorer, la barbe du pope est aussi menacée en plein XIXe siècle que sous le règne d’Ivan Vassiljevitch.

M. Hansteen, qui nous a si agréablement conté le mariage d’une Sibérienne de Tobolsk, a assisté, dans cette même ville, à une autre cérémonie religieuse, à une cérémonie si étrange en vérité, qu’il faut l’avoir vue pour la croire possible. Dans l’église gréco-russe, ce n’est pas par l’aspersion, comme chez les catholiques et chez les protestans, c’est par l’immersion du corps tout entier que s’accomplit le baptême. Ordinairement les nouveau-nés sont baptisés quelques jours après la naissance. Un bassin est dans la chapelle ; le pope commence par bénir l’eau baptismale, en traçant des signes de croix