Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/621

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de se marier. Seuls, les hauts dignitaires, archevêques et évêques, archimandrites et supérieurs de couvens, sont astreints au célibat. Quant aux popes, ce n’est pas assez de dire qu’ils peuvent contracter mariage, ce sacrement est une condition indispensable sans laquelle ils ne seraient pas revêtus du sacerdoce à titre définitif. Seulement, remarquez cette clause singulière, en les contraignant de prendre femme, l’église leur défend de se marier deux fois. Quand un pope a perdu sa compagne, il est obligé par la discipline religieuse de se résigner à un veuvage éternel, comme le faisaient volontairement les chrétiens des premiers siècles. Il arrive parfois alors que l’ambition les console de la privation des joies domestiques ; le pope devenu veuf peut aspirer, s’il a des protecteurs puissans, aux dignités supérieures, dont l’accès lui était interdit. On comprend bien cependant que ces heureux-là seront le petit nombre. Or, sans parler des avantages que l’église russe assure à ses ministres, sans parler du rang qu’ils occupent, de l’influence qu’ils exercent au sein de ces populations dévouées, comme elles disent, à la foi orthodoxe, cette défense de se marier en secondes noces les fait rechercher par les familles comme les plus désirables des maris. Les jeunes filles elles-mêmes, avec une naïveté de tendresse plus forte que la pudeur, ne dissimulent pas, en Sibérie du moins, leurs sentimens à cet égard. Un homme qui, en perdant sa femme, perd aussi l’espoir de la remplacer jamais, ne doit-il pas avoir pour elle des soins particuliers et une affection doublement vive ? C’est là-dessus qu’elles comptent avec candeur, et sans déguiser leurs désirs. Un jeune pope, né d’une famille sibérienne, venait d’arriver dans une petite ville des environs de Tobolsk, où se trouvait alors le voyageur anglais. Avant de recevoir les derniers ordres et la consécration définitive, il ne lui manquait plus que le sacrement du mariage. On pense quelle dut être dans la ville la rivalité de toutes les jeunes filles. Combien d’imaginations en travail ! combien de cœurs en émoi ! Les robes de fête, les riches coiffures, toutes les élégances sibériennes, s’étalaient à l’envi. Il y avait dans la maison où demeurait M. Hill une jeune fille que cette nouvelle de l’arrivée du pope avait singulièrement émue. Laissons la parole à M. Hill :


« Nous n’avions pas vu les rivales de notre jeune et belle amie, mais nous pensions que le pope n’eût pas été à plaindre, s’il eût choisi la seule des prétendantes que nous avions eu l’occasion de connaître. Grande et complètement formée, elle n’avait guère plus de seize ans. Sa chevelure, bien tressée, était gracieusement partagée sur son front. L’étoffe de sa robe était de fabrique européenne. À la vérité, elle ne portait point de bas, mais elle avait des souliers qui venaient certainement d’une grande ville. La nature l’avait douée d’une parfaite élégance, et son bizarre costume, qui eût été grotesque sur une des personnes de son entourage, la parait à merveille. Ses parens