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l’homme semble n’avoir d’autre occupation que de se défendre contre le climat, c’est un spectacle intéressant de retrouver le cœur humain avec ses émotions vraies, avec ses joies, avec ses peines, et de voir tout cela se traduire en des coutumes populaires empreintes d’une poésie naïve.

Une des plus curieuses cérémonies auxquelles M. Hansteen ait assisté chez les Russo-Sibériens, ce fut un mariage. Les hommes et les femmes, en Sibérie, vivent assez séparés les uns des autres ; c’est une trace des mœurs orientales, sans parler de la rigueur du climat et des difficultés de la vie, qui retiennent chaque famille sous son toit comme l’assiégé dans son fort. Quand un Sibérien veut se marier, il s’adresse à une espèce d’entremetteuse nommée en russe la svacha. C’est ordinairement une vieille femme très au courant du personnel féminin de la contrée, connaissant à merveille toutes les jeunes filles et toutes les veuves, habituée à pénétrer partout, à tout examiner d’un œil curieux, à recevoir mainte et mainte confidence. Le Sibérien la prie de lui procurer une femme pourvue de telles et telles qualités ; la svacha parcourt sa liste, interroge sa mémoire, et elle indique au prétendant la personne qui doit le mieux lui convenir. C’est ici que commence le rôle de la svacha et cette bizarre comédie des fiançailles que les mœurs sibériennes ont divisée en cinq actes. La svacha va trouver la jeune fille dont elle a fait le portrait à son client : je connais un jeune homme, dit-elle, qui se marierait volontiers, s’il trouvait une brave fille, aimable et laborieuse ; il est ceci, il est cela… La svacha dessine le poitrait à sa manière, et, au milieu de toutes les vertus qu’elle glorifie, si elle peut dire que le jeune homme possède un service à thé, il est bien rare que son éloquence ne triomphe pas du premier coup. Le thé est la boisson favorite du Sibérien ; c’est du thé qu’on offre tout d’abord à l’étranger qui entre sous le toit hospitalier : quand un serviteur s’engage chez quelque riche famille, il a grand soin de stipuler combien de fois il prendra le thé chaque jour. Je suppose donc que le jeune homme possède la théière, la bouilloire, la boîte à thé, et que la demande a été favorablement accueillie ; aussitôt la svacha leur procure à tous deux l’occasion de se voir, quelquefois chez un tiers, le plus souvent dans une église. C’est le premier acte, celui que les Russes nomment la smotrénie, c’est-à-dire l’entrevue. Les deux futurs, en effet, ne font guère que s’entrevoir un instant. La svacha les présente l’un à l’autre, et tel est ordinairement leur mutuel embarras, que la svacha doit faire à elle seule tous les frais de la conversation. C’est un examen muet, après quoi l’on se sépare. Si l’examen n’amène pas une rupture, les négociations continuent. La svacha obtient que les deux jeunes gens se rencontrent encore une fois dans la famille de l’un ou