Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/611

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quand je me rappelais que le glorieux vieillard, tant de fois vainqueur des Turcs, avait blanchi dans ce sépulcre horrible, qu’il y avait passé vingt années de sa vie, vingt années de douleur, de misère, de désespoir, sans autre consolation que la société de sa femme et la pratique d’une piété ardente ; quand je me rappelais enfin cette innombrable légion de martyrs inconnus, exilés sans nom, prisonniers dégradés de leur dignité d’hommes et numérotés comme du bétail, c’est alors surtout que je maudissais le mystère dont le despotisme s’enveloppe et le sceau qu’il imprime sur les lèvres humaines. Les aventures de Praskovie Lopoulof, dans le touchant récit de M. Xavier de Maistre, n’étaient-elles pas jusqu’ici le seul épisode bien connu de cette lugubre histoire ?

Or voici des voyageurs qui ont parcouru assez récemment la Sibérie et qui racontent avec netteté tout ce qu’ils ont vu. Ce sont des savans, mais ce sont aussi des hommes ; rien de ce qui intéresse l’humanité ne les laisse indifférens. S’ils ont rencontré sur leur chemin des familles exilées, ils ne craignent pas de nous dire les émotions qu’ils ont ressenties. Ils ne déclament pas ; bien loin de là, ils sont brefs, précis, et d’autant plus expressifs. Ils décrivent aussi l’aspect général du pays, les mœurs des tribus nomades, les rapports des Russes et des Chinois sur la frontière, la vie des fonctionnaires dans ces solitudes lointaines, le contraste bizarre du christianisme moscovite et des religions du Nord et de l’Orient. La variété des choses et des hommes est si grande en ces contrées où la civilisation et la barbarie se heurtent à chaque pas, il y a tant de différences du nord au sud et de l’est à l’ouest, que le simple récit de ces mille oppositions semble le résultat d’un artifice ingénieux. Nos voyageurs nous donnent leur journal complet : rien de plus piquant et de plus inattendu que cette pittoresque mêlée de gouverneurs russes, de khans tartares, d’aristocrates samoyèdes, de sorciers tonguses, de popes moscovites, de lamas bouddhistes, de commerçans chinois, dont les profils passent et repassent dans leurs tableaux.

Le premier, M. Christophe Hansteen, célèbre astronome norvégien, professeur à l’université et directeur de l’observatoire de Christiania, a parcouru la Sibérie tout entière pour y faire des études sur les courans magnétiques du globe. Les découvertes de M. Hansteen sont connues du monde savant. Occupé depuis longtemps des variations de l’aiguille aimantée et impatient de les réduire à une loi, l’astronome de Christiania, après avoir comparé entre elles les observations des grands navigateurs, s’était arrêté à cette idée, qu’un seul pôle magnétique ne suffit pas à expliquer les mouvemens de la boussole. Indépendamment du principal pôle magnétique placé au nord de l’Amérique dans les régions de la baie de Badin, il y avait, pensait-il, un autre pôle, c’est-à-dire un autre foyer de courans magnétiques,