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et d’une singulière audace ; ses fils, Jacques, Grégoire, Michel, continuèrent son entreprise, et bientôt, devenus assez puissans pour rendre des services au tsar Ivan le Terrible, ils obtinrent l’autorisation de mettre sur pied une armée qui devait franchir les défilés de l’Oural. Le Cosaque Jermak, chargé par les Strogonof de la conduite de l’expédition, s’avança au-delà de l’Oural à la tête de quelques milliers d’hommes, et soumit rapidement une grande partie de la Sibérie inférieure. À peu près vers la même époque, des événemens analogues s’accomplissaient au nord. Un négociant de Solvitchegodzka conçut le projet d’envoyer une mission chez les Tonguses et les Samoyèdes, afin de faire explorer les lieux et d’y établir un comptoir. L’entreprise réussit ; les parties les plus accessibles de la contrée s’ouvrirent aux recherches des agens, et au bout de quelques années, après avoir lié des rapports avec ces peuplades lointaines, le hardi négociant russe devint un intermédiaire puissant entre la Sibérie septentrionale et les commerçans de Moscou. Le nom de cet homme est resté célèbre dans les annales moscovites ; il s’appelait Anika. Ses fils poursuivirent ses travaux et acquirent de si grandes richesses, qu’ils furent bientôt en butte aux accusations de l’envie. Pour se soustraire aux dangers qui les menaçaient, ils jugèrent prudent de révéler au gouvernement le secret de leur découverte et d’invoquer sa protection. Boris Godunof, beau-frère du tsar Féodor Ivanovitch, administrait alors la Russie en qualité de ministre avant de la gouverner en son nom ; c’est à lui que les héritiers d’Anika dévoilèrent l’existence des peuples de la Sibérie et les rapports qu’ils avaient déjà établis avec eux. Boris Godunof profita de l’indication ; quelques années après, une partie des Samoyèdes était soumise à la domination moscovite. Une fois la route ouverte, la Sibérie entière devait être promptement réduite. C’est ainsi que la conquête fie la Sibérie, commencée en 1580 sous Ivan le Terrible, fut terminée cinq ans plus tard sous le tsar Féodor Ivanovitch.

Depuis ces hardies entreprises, la Sibérie fut parcourue en divers sens par les ambassades qui, au XVIIe et au XVIIIe siècle, allaient conclure des traités de commerce avec la Chine ou régler la délimitation des frontières. En 1689, le comte Golovin conclut à Nertschinsk une première convention qui fixa provisoirement les bornes des deux empires. En 1715, Pierre le Grand envoya à l’empereur de Chine Khang-hi le chirurgien anglais Thomas Garwin et un officier russe, d’origine allemande, nommé Laurent Lange, pour recueillir des renseignemens sur le commerce des Chinois et examiner de plus près la question des frontières. Cette question, longtemps indécise, suscita ainsi pendant le XVIIIe siècle bien des missions et des ambassades qui furent pour les Russes une occasion naturelle d’étudier les Kirghises, les Baschkirs, les Ostiakes, les Tonguses, et toutes ces