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put reprendre le métier de rempailleur de chaises. Sa femme était morte et l’avait laissé seul avec un enfant qui aidait son père dans ses travaux, fin 1817, la paix étant conclue, les soldats congédiés, comme autant de harpies, vinrent de nouveau retrancher chaque jour aux ouvriers des villes une bouchée de pain, et néanmoins, trait caractéristique de la nature américaine, malgré toutes ses souffrances, Israël ne tomba jamais à la condition de mendiant. Heureusement pour lui, il avait un enfant qui le soutenait dans sa misère, et qui le berçait des rêves d’un retour à la terre natale. Par ses efforts persévérans, l’enfant parvint à faire connaître au consul américain l’histoire de son père, et le consul les fit embarquer tous deux pour Boston. C’était en l’année 1826 ; juste un demi-siècle s’était écoulé depuis le jour où Israël avait été conduit en Angleterre.

Le navire arriva à Boston le 4 juillet. La ville était en grande fête ; le vieillard eut en débarquant la joie de voir écrits sur une bannière flottante, portée sur un char de triomphe, ces mots : Bunher-Hill, 1775. Gloire aux héros qui ont combattu dans cette journée. — Il contempla silencieusement ce spectacle, et reprit, les larmes aux yeux, le chemin de ses montagnes ; mais son retour n’était pas un retour : c’était une résurrection d’entre les morts. Personne ne le connaissait et n’avait entendu parler de lui. Le dernier survivant de sa famille, suivant l’exemple de ses voisins, avait vendu ses propriétés, et s’était retiré dans l’ouest… où ? — On ne le savait pas précisément. Israël chercha la demeure de son père, elle avait été incendiée il y avait longtemps. Il chercha l’emplacement sur lequel elle s’élevait, les routes avaient été changées. Sur l’ancienne route paissaient maintenant de paisibles troupeaux. Enfin, en avançant, le vieillard arriva avec son fils auprès d’un petit tas de pierres noircies par le feu et tachetées cependant, de mousses vertes. Un étranger labourait près de là, et s’arrêta tout à coup ; sa charrue avait rencontré une pierre enfoncée dans la terre.

— Voilà vingt ans déjà que ma charrue frappe cette vieille plaque de foyer ! Oh ! une journée étouffante, vieil ami ! dit-il à Israël.

— A qui était cette maison, l’ami ? dit le fugitif, touchant de son bâton la pierre à demi enfouie.

— Je ne sais, j’ai oublié le nom. Ils sont allés dans l’ouest, je crois. Vous les connaissiez ?

Mais le fugitif ne répondit pas ; son œil était fixé sur la pierre.

— Que regardez-vous, père ? dit son fils.

— Père ! Oui, ici, dit-il en montrant la place avec son bâton, ici s’asseyait mon père, et ici ma mère, et moi, petit enfant, je courais entre leurs jambes à cette même place où je me traîne maintenant, mais à l’air libre et sans un toit sur ma tête. Continuez à labourer, l’ami…