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éloge de l’illustre maestro que Venise pleurait encore. Cent jeunes filles choisies dans les quatre scuole, — l’Ospedaletto, i Mendicanti, gl’Incurabili et la Pietà, — plusieurs chanteurs et instrumentistes de la chapelle Saint-Marc devaient exécuter, sous la direction de Bertoni, un choix des meilleurs morceaux de Galuppi. Toute la société de Venise, les Pisani, les Foscarini, les Contarini, les Balbi, les Malipieri, les Zustiniani, les Cornaro, les Loredano, les Cappello, noms illustres qui sont l’histoire vivante de la république, se trouvaient à cette réunion à côté du sculpteur Canova, du poète élégiaque Lamberti, de Mazzola, auteur du poème ingénieux i Cavei di Nina (les cheveux de Nina), de François Gritti, auteur de charmans apologues pleins de gaîté et de finesse, parmi lesquels on distingue la Briglia d’oro (la bride d’or), de Pierre Buratti, autre poète vénitien, non moins exquis et non moins joyeux que les précédens, et dont M. Perruchini a mis en musique, de nos jours, presque toute l’odyssée de concetti amorosi.

Oh ! le ravissant spectacle qu’offrait alors le salon du palais Grimani, rempli de si grands noms et de si belles dames nonchalamment assises, causant, riant, jouant de l’éventail et cachant derrière ce masque mobile de la coquetterie les sourires, les œillades et les mines les plus expressives et les plus délicieuses ! La naissance, l’esprit, l’art et la beauté se trouvaient représentés dans cette réunion d’élite, où Beata ressortait comme une rose mystique qui attirait invinciblement le regard et répandait autour d’elle un parfum de poésie divine. Qui aurait dit alors, en voyant ces groupes animés, ces gentildonne éclatantes, ces beaux seigneurs, ces artistes, ces poètes et ces chanteurs insoucians et enivrés de la vie, qu’un coup violent de la destinée viendrait bientôt renverser la barque séculaire qui les portait sur l’onde azurée ? Il n’y avait que le vieux sénateur Zeno qui, assis dans un coin du salon où il était entouré de sa fille et du chevalier Grimani, portât sur son front vénérable l’expression d’une noble tristesse.

Dans un groupe des plus animés, on voyait s’agiter, comme une branche d’aubépine en fleurs au milieu d’un frais buisson, ’a longue et belle chevelure noire d’une jeune femme qui tournait en tous sens des regards avides et curieux. Chargés de fleurs et de parfums, ces cheveux, qui se déroulaient en tresses vigoureuses, retombaient sur un cou gras, onduleux, et parsemé d’un léger duvet qui trahissait un sang généreux. Un sourire, qui était plutôt l’expression de la santé et du bien-être que l’indice d’un esprit malicieux, s’égayait sur ses lèvres humides et toujours entr’ouvertes, comme un rayon de soleil sur des gouttes de rosée matinale. Vêtue d’une robe de brocart semée de joyeux dessins, elle tenait à la main un riche éventail