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en pratique à des diversités plus grandes encore. Ainsi la méthode d’Hippocrate devait être expectante, et il employait peu de remèdes. La ptisane, c’est-à-dire une décoction d’orge, que nous avons remplacée par la tisane, est son médicament le plus ordinaire dans les maladies aiguës. Les cnidiens, voulant combattre chaque symptôme, droguaient davantage et cherchaient les spécifiques. Ils employaient même des remèdes très violens, et un auteur comique leur a reproché de couvrir d’escarres le corps de leurs cliens. Cette rudesse de procédés les a souvent conduits à des découvertes. On leur doit des opérations chirurgicales très hardies et très heureuses. Ils ne craignaient pas d’inciser le rein pour enlever des calculs, de trépaner, d’ouvrir la poitrine, de mettre des tubes de métal dans la gorge en cas d’angine, etc. La principale crainte des médecins de Cos était au contraire de déranger la nature dans la voie curative où elle s’engage spontanément. Cette théorie, poussée à l’excès, conduirait à une inaction absolue, et cette inaction a été reprochée à Hippocrate. La statistique qui résulte de ses ouvrages lui est peu favorable ; sur trente malades, seize sont morts, ce qui est beaucoup. Un des inconvéniens de cette doctrine est de laisser souffrir le malade sans tenter de le soulager. Aussi un médecin de l’antiquité, Asclépiade, appelait-il la médecine hippocratique une méditation sur la mort !


IV

Aujourd’hui que pense-t-on de toutes ces discussions ? Les théories d’Hippocrate et d’Euryphon ont-elles disparu et sont-elles allées rejoindre celle des alchimistes du moyen âge et des physiciens de l’antiquité ? Tout le monde est-il d’accord maintenant sur les questions qui divisaient les anciens, et à qui a-t-on donné raison ? Il faut bien l’avouer, la querelle n’est pas terminée, et il existe de nos jours des médecins de Cos et des médecins de Cnide. L’anatomie et la physiologie actuelles, il est vrai, n’ont aucun rapport avec celles que professaient les anciens. La thérapeutique est devenue plus précise, s’est enrichie de plusieurs spécifiques inconnus alors, s’est débarrassée, d’une multitude de préparations inutiles ; mais sur les grandes questions de la pathologie, nous en sommes à peu près au même point, ou du moins les discussions persistent. L’art de guérir a fait des progrès, la science médicale proprement dite en a fait peu. Les sociétés scientifiques, l’Académie de médecine, l’Académie des sciences, entendent chaque jour des disputes très analogues à celles que je viens d’exposer. Des opinions diverses sont soutenues dans toutes les chaires et toutes les thèses des facultés. Les livres