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Les maladies, en tant qu’elles résultent du régime, n’étaient donc pas pour les anciens aussi simples qu’on se l’imagine, et les remèdes subissaient l’influence de cette complication ; Quoique Hippocrate recommande de n’en pas trop employer, quoi qu’il préfère la médecine expectante à la médecine agissante sa matière médicale renferme une foule de drogues qui sont trop longtemps restées dans l’usage. Jusqu’au dernier siècle, il n’y avait pas de bon remède en France sans momies, et l’on a beaucoup loué le chimiste Lemery d’avoir réduit à cinquante-deux drogues la thériaque d’Andromachus. Ce remède était composé de soixante-quatre médicamens, et tous, à l’exception peut-être d’un ou deux, n’avaient pas plus d’effet sur l’économie que la présure d’une, le poil de lièvre, la moelle de cerf, la sciure de cyprès, etc., que recommande un des auteurs de la Collection hippocratique. Cette foule de remèdes inutiles ne peut donc pas nous surprendre. Ce qui est étonnant au contraire, c’est que quelques malades pussent échapper sains et saufs aux médecins de l’antiquité. Comment, sans connaître aucun des spécifiques qui nous servent aujourd’hui, le quinquina, le mercure, l’opium, l’émétique, etc., ces médecins guérissaient-ils des organes dont ils ignoraient les fonctions et la situation exacte ? Comment, avec si peu de connaissances précises ; osaient-ils tenter ces opérations terribles qui effraient les chirurgiens modernes, couper des jambes et des bras, remettre des luxations, cautériser même le foie avec un fer rouge ? Comment guérir la fièvre sans savoir tâter le pouls, la phthisie sans connaître le mécanisme de la respiration, les gastrites sans savoir comment la digestion s’accomplit ? On comprend bien qu’Hippocrate ait dit : « J’ai beaucoup d’admiration pour le médecin qui ne commet que de légères erreurs » » Il est bien vrai que la médecine actuelle a aussi beaucoup de lacunes et n’est que trop souvent empirique. On guérit les hépatites et les splénites, et l’on ignore les fonctions de la rate et du foie ; on guérit la fièvre intermittente sans en connaître les causes, le choléra et la variole sans savoir quel virus les produit, et même s’il y a un virus. J’arrive enfin aux maladies elles-mêmes et. à leurs causes ; là est le fondement véritable de la renommée d’Hippocrate. C’est sur la pathologie qu’il a eu des idées vraiment originales et sérieuses ; dans tout le reste, il n’a guère fait que suivre ses prédécesseurs, avec plus de critique et de raison. Ici il est vraiment lui-même, et aucun doute n’obscurcit sa gloire, car les deux ouvrages où il expose sa théorie sont certainement de lui et ont une supériorité incontestable sur les autres traités de la collection. C’est là qu’on trouve la véritable application de la médecine telle que la définissait Platon dans le Gorgias : « Une science qui recherche la nature du sujet qu’elle traite, la cause de ce qu’elle fait, et qui sait rendre compte de chacune de