Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/543

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a partout précédé la raison. On a composé des poèmes avant d’écrire des ouvrages de physique, et même parmi les poèmes les plus anciens sont aussi ceux qui racontent les aventures les moins réelles. Les tableaux et les statues ont commencé par représenter des objets purement fictifs, des monstres ou des chimères, puis des scènes empruntées à la mythologie, et les peintures du monde réel ont été tardives. On a écrit en vers bien avant d’écrire en prose. La médecine elle-même a dû être inventée fort tard, après la poésie, la philosophie et la musique. Une autre raison devait empêcher les hommes de songer à secourir les malades, c’est la persuasion que toutes les maladies ont pour cause la colère d’un dieu. On ne peut pourtant prétendre qu’Hippocrate ait été le premier médecin et qu’avant lui il y eut à peine des empiriques. Il est sans exemple qu’un homme, quel que soit son génie, ait pu créer une science et la rendre telle qu’apparaît la médecine dans les livres dont nous allons parler. Cela n’arrive pas même pour les découvertes les plus simples, qui, pour être complètes, ont besoin des travaux successifs de plusieurs inventeurs. Il y a longtemps qu’on a dit que les sciences sont plutôt filles du temps que du génie. C’est ce qu’on peut remarquer surtout dans celles où l’observation joue un aussi grand rôle que dans la médecine. Cherchons donc avant tout dans quel état Hippocrate a trouvé les choses. Les travaux de ceux qui l’ont précédé jetteront du jour sur les siens propres. Pour bien déterminer le rang qu’un savant mérite, il faut le rapprocher de ses devanciers, puis mesurer l’influence qu’il a exercée sur ses successeurs.

Aucun monument ne constate l’origine de la médecine. Il ne nous reste aucun des livres publiés avant la LXXXe olympiade, et ils étaient nombreux, car Hippocrate regrette souvent, comme La Bruyère, que les anciens aient enlevé de la science le meilleur et le plus beau, et qu’il ne reste qu’à glaner après eux. Ces livres d’ailleurs existeraient-ils, qu’ils ne nous apprendraient pas grand’chose, car ce n’étaient pas sans doute des histoires de l’art, et l’on en est réduit aux conjectures. Les uns, et Hippocrate est du nombre, ont fait naître la médecine du besoin que les hommes ont peu à peu éprouvé d’avoir un régime plus approprié à leur nature. L’alimentation était d’abord mauvaise, peu abondante en principes nutritifs ; tous ceux qui avaient une constitution faible périssaient, et le régime précéda la médicamentation. Pétrir le pain, cuire les viandes, composer les sauces, dit Hippocrate dans son traité de l’Ancienne médecine, c’était déjà de la médecine, car c’était un changement de régime. Bientôt aussi on s’aperçut que malgré ces modifications apportées à la nourriture naturelle, il y avait encore des maladies, que le régime de l’homme en santé ne convenait plus à l’homme malade, et après avoir conseillé de manger moins, on composa des bouillies, on fit prendre des