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ils rencontrèrent une fille à l’air mutin et aux joues rosées qui leur présenta les complimens de sa maîtresse, et les pria d’ajouter à leur bagage deux petits hochets d’enfant en corail et en argent. Des deux officiers, l’un était Français et l’autre Espagnol. L’Espagnol jeta avec colère son hochet contre terre et le foula aux pieds ; mais le Français le prit gaiement, et le baisa en disant à la jeune fille qu’il conserverait longtemps ce fragment de corail comme souvenir de ses joues rosées.

Lorsqu’ils arrivèrent sur la plage, ils trouvèrent le capitaine occupé à écrire un billet au crayon. Lorsque Paul Jones eut terminé, il jeta un regard de reproche aux officiers, et tendit le billet à Israël en lui recommandant de le porter en toute hâte au château et de le remettre entre les mains de la comtesse de Selkirk. Ce billet contenait les excuses du capitaine pour le pillage qu’il n’avait pu empêcher. « Du fond de mon cœur, disait Paul Jones, je déplore cette cruelle nécessité. J’ai été obligé de céder. Laissez-moi vous donner l’assurance que, lorsque l’argenterie sera vendue, je ferai en sorte d’en être l’acheteur, et je me ferai un vrai plaisir de vous la renvoyer et de vous faire rentrer ainsi dans votre propriété. Je pars, madame, pour aller attaquer demain matin le vaisseau Drake, de vingt canons, qui se trouve près de Carrickfergus. Je me sentirais invincible comme Mars, si j’osais seulement rêver que dans quelqu’une des vertes retraites de son charmant domaine, la comtesse de Selkirk adresse à Dieu une charitable prière pour un homme qui, étant venu pour faire un captif, a été lui-même captivé. » Et le capitaine signait cette galante missive d’ennemi adorateur de votre seigneurie ! »

Paul Jones fut invincible en effet ; il prit le vaisseau Drake malgré la supériorité de son artillerie et de son équipage, puis se rendit en France avec Israël. Il jeta l’ancre devant Brest. Trois mois après, il fit partie d’une expédition envoyée par la France sur les côtes de la Grande-Bretagne. Paul Jones commandait le vaisseau le Duras, vieux navire de forme antique qui avait fait souvent le voyage des Indes et qui en avait rapporté une forte odeur d’épices. — Le Duras, je n’aime pas ce nom, dit un soir Israël à Paul Jones ; si nous le changions : si nous l’appelions le Bonhomme-Richard ? Ce nom fut adopté, et il est resté célèbre, car l’événement le plus remarquable de cette expédition fut le combat du Bonhomme-Richard contre le vaisseau anglais le Serapis. Ce combat, qui fut la première collision remarquable sur mer entre les Anglais et les Américains, pouvait être regardé comme une prophétie des destinées de cette Amérique, intrépide, sans souci des principes, téméraire, pillarde, aux ambitions infinies, civilisée à l’extérieur seulement, sauvage au fond de l’âme, qui est et qui peut-être sera longtemps encore le Paul Jones des nations. Peu de combats sur mer ont été plus énergiques, plus obstinés,