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Ces mœurs féroces subsistèrent chez les Hongrois jusqu’au temps de Geiza, père de saint Etienne.

Les Huns partent donc, côtoient la Mer-Noire et ne s’arrêtent qu’aux bords du Danube, de l’autre côté de ce fleuve règne le Lombard Macrinus, tétrarque de Pannonie, de Dalmalie, de Macédoine, de Pamphylie et de Phrygie ; ce royaume ne lui appartient pas en propre : il le tient de Théodoric de Vérone, que les Romains ont nommé roi d’Italie. À la vue des Huns, qui se déploient sur la rive gauche du Danube, Macrinus pousse un cri de détresse, et Théodoric accourt à son aide avec une armée composée des nations de tout l’Occident. Il se réunit aux Lombards sous les murs de Potentiana ; mais tandis que les deux chefs délibèrent sur le point où ils doivent attaquer les Huns, ceux-ci, arrivés pendant la nuit, traversent le Danube sur des outres et dispersent l’arrière-garde romaine. Théodoric se retire dans les plaines marécageuses où s’élèvera plus tard la ville d’Albe-Royale ; il y attire les Huns, auxquels il livre à Tarnok-Welg une grande bataille dans laquelle ceux-ci sont vaincus : cent vingt-cinq mille de leurs guerriers restent sur la place, mais Théodoric a perdu deux cent dix mille des siens. Un des capitaines des Huns, Kewe, de la race de Zémeïn, était tombé parmi les morts ; les Huns s’en aperçoivent dans leur fuite, et reviennent sur leurs pas pour chercher son cadavre, qu’ils enterrent au bord du grand chemin ; puis ils élèvent sur sa fosse une colonne ou pyramide de pierres, à la manière des Huns, ajoute la tradition. Le canton prit dès lors le nom de Kewe-Haza (la demeure, le sépulcre de Kewe), qu’il conserva chez les Hongrois. Cette pyramide sépulcrale, où doit un jour reposer Attila, commence la consécration d’un petit territoire qui deviendra, à mesure que les événemens se développeront, le champ sacré de la Hongrie, et réunira successivement dans ses limites la capitale païenne des Huns, Sicambrie, la capitale chrétienne des Hongrois, Albe-Royale, et les trois sépultures d’Attila, d’Arpad et de saint Etienne. On ne devine pas bien à quel événement historique on pourrait rapporter la bataille de Tarnok-Welg, car le tétrarque Macrinus est un personnage imaginaire, comme sa ville de Potentiana est une ville imaginaire. Les Lombards, comme on sait, ne se sont établis en Pannonie que dans la première moitié du Vie siècle, et quant à Théodoric de Vérone, c’est le héros fantastique des poèmes allemands. Toutefois il est difficile de rejeter ces souvenirs comme de pures inventions. Il est probable au contraire que la bataille de Tarnok-Welg et celle qui va la suivre, livrées toutes deux sur la rive droite du Danube, antérieurement au règne d’Attila, appartiennent aux traditions locales de la Pannonie. Les Huns avaient une revanche à prendre, et ils la prennent glorieusement.