Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/50

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pourrez apercevoir le vaisseau américain le Ranger, que j’ai l’honneur de commander. Présentez mes respects au comte, ainsi que mes sincères regrets de ne pas l’avoir rencontré chez lui. Permettez-moi de vous saluer et de me retirer.

Le capitaine s’inclina, sortit, et trouva Israël en contemplation devant une claymore de highlander. — Partons, mon lion, partons, dit-il ; tout est perdu. Le vieux coq est parti laissant derrière lui dans le nid une belle poule, ma foi ; mais il faut nous en retourner les mains vides.

Monsieur Selkirk n’est donc pas chez lui ? demanda Israël.

Monsieur Selkirk ? C’est peut-être du matelot Alexandre Selkirk que vous voulez parler. Non ; il n’est pas dans l’île de Sainte-Marie ; il est bien plus loin, dans l’île de Juan Fernandez, où il vit tout seul, comme un ermite. Partons.

À la porte, Paul et Israël rencontrèrent les deux officiers qu’ils avaient laissés. Paul les informa de son désappointement et ajouta qu’il ne restait plus qu’à partir immédiatement.

— Et rien pour nos peines ? murmurèrent les deux officiers.

— Que voulez-vous avoir, je vous prie ?

— Eh ! mais un peu de pillage, quelque argenterie.

— C’est honteux. Je croyais que vous étiez des gentilshommes.

— Les officiers anglais, en Amérique sont aussi des gentilshommes, et cela ne les empêche pas de s’emparer de l’argenterie de l’ennemi quand ils peuvent mettre la main dessus.

— Allons, allons, pas de scandale. Les officiers dont vous parlez ne sont pas deux sur vingt, et ces deux, ce sont de purs filous, de petits gentilshommes aux doigts crochus, qui se servent de l’uniforme du roi pour exercer un métier infâme avec plus de sécurité ; les autres sont des hommes d’honneur.

— Capitaine Paul, répondirent les deux officiers, nous vous avons suivi dans votre expédition sans attendre une solde régulière ; nous comptions en revanche sur un peu de pillage honorable.

— Pillage honorable ! voilà quelque chose de nouveau !

Mais les officiers n’étaient pas faciles à persuader. Ils étaient les plus habiles du vaisseau, et Paul, de crainte de les irriter, fut par politique obligé de céder. Quant à lui, il ne voulut se mêler en rien de cette affaire. Il ordonna aux officiers d’interdire à leurs hommes l’entrée de la maison, et de ne rien prendre eux-mêmes que ce que la comtesse voudrait bien leur donner. La comtesse ne fut pas peu déconcertée en recevant les officiers. Ceux-ci exposèrent leur demande avec une froide détermination. Il n’y avait pas moyen d’échapper. La comtesse se retira, et quelques instans après l’argenterie et d’autres objets de grande valeur furent déposés silencieusement devant les officiers, qui partirent chargés du butin. Arrivés à la porte,