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cet aspect uniforme ; mais je ne renonce pas au droit d’affirmer que le printemps en peinture ne doit être abordé qu’avec la plus grande réserve. L’uniformité de son aspect, que la brise et la lumière viennent parfois corriger, est un écueil dangereux pour les plus habiles. Les jeux de la brise et de la lumière, dont la nature dispose à son gré, faciles à saisir pour un œil attentif, se dérobent trop souvent au pinceau le plus rusé. M. Lee, pour ne s’être pas assez défié du danger que je signale, a fait un tableau monotone. Si, au lieu du printemps, il eût choisi l’automne, son habileté aux prises avec un sujet plus varié, fût peut-être sortie victorieuse de cette épreuve. Tel qu’il est, son Braconnier, curieux sujet d’étude pour ceux qui aiment à comparer la nature aux œuvres qui prétendent la rappeler, n’arrête pas les yeux de la foule, et je ne m’en étonne pas, car la forêt de M. Lee n’est qu’une image infidèle des forêts où nous aimons à respirer ; ces masses de feuillage sont des masses immobiles que le vent n’a jamais agitées, et qui pèseraient sur notre poitrine comme une chape de plomb. Il m’est donc impossible de voir dans le Braconnier la justification de la renommée qui est échue à M. Lee. En face de M. Maclise, je me trouve bien autrement embarrassé. Si le tableau de M. Lee n’est pas pour moi un paysage vrai dans le sens poétique du mot, ou dans le sens littéral et restreint de l’imitation, j’y reconnais du moins l’intelligence des grandes divisions qui jouent un si grand rôle dans le paysage ; mais que dire de M. Maclise ? Comment parler de lui sérieusement ? comment croire qu’il n’a pas voulu se jouer du public ? Pour traduire l’impression que j’ai reçue, je suis obligé de recourir à une comparaison vulgaire : le Manoir du Baron ressemble à un jeu de cartes éparpillé confusément par la main d’un enfant. Cette image est la seule qui rende l’aspect du tableau. D’après l’auteur, le Manoir du Baron nous offre « la fête de Noël au bon vieux temps. » Je ne veux pas discuter cette qualification ienveillante appliquée au moyen âge : les mérites du régime féodal ne sont pas une question de peinture ; mais au bon vieux temps comme au temps présent, les créatures humaines avaient un corps un peu plus épais qu’une feuille de carton, et dans la fête de Noël de M. Maclise, je ne vois que des figures sans épaisseur placées toutes au même plan, et qui pourtant n’ont pas l’air de se gêner mutuellement. Sur quoi marchent-elles ? Je n’en sais rien. Où vont-elles ? Je ne le sais pas davantage. Ajoutez à ce défaut, déjà si grave, un choix de couleurs crues qu’on pourrait à peine tolérer dans le fond d’une assiette. Je me suis demandé comment M. Maclise avait pu concevoir cet étrange tableau, et la réflexion m’a démontré qu’il avait dû être conduit à cette aberration par l’étude des miniatures peintes sur vélin. Il ne s’est pas borné à les consulter comme documens,