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seul attrait qu’il puisse nous offrir est celui de la peinture. Or M. Leslie s’est médiocrement préoccupé du côté pittoresque ; il s’est attaché avant tout à l’exactitude. À proprement parler, il a voulu dresser le procès-verbal de la cérémonie, et comme celui qui avait ordonné le programme de la fête songeait aux privilèges héraldiques bien plus qu’aux effets de couleur que pourrait offrir la réunion des costumes, il est tout simple que ce tableau nous laisse parfaitement indifférens. Quant aux Anglais, ils admirent la fidélité des portraits. Pour ceux d’entre eux qui ne connaissent pas les grandes écoles de l’Italie, de la Hollande et de la Belgique, M. Leslie est un maître accompli. Pour nous, qui n’avons pas assisté au couronnement de la reine, qui n’avons jamais vu aucun des acteurs, nous en sommes réduits à condamner formellement la sécheresse de la peinture. On aura beau nous vanter l’expression exacte des physionomies, nous aurons toujours le droit de demander pourquoi les groupes ne sont pas disposés plus heureusement, pourquoi l’ensemble de cette composition offre un aspect monotone.

Catherine et Petruchio, l’Oncle Tobie et la veuve Wadman, Sancho Pança et la duchesse, nous offrent le talent de M. Leslie sous une forme plus heureuse que le Couronnement de la reine. Cependant la dernière de ces trois compositions ne saurait être acceptée comme une œuvre correcte, car la cuisse droite de la duchesse est d’une longueur démesurée, et la forme du genou et de la jambe n’est pas assez nettement accusée. La scène est bien comprise, et comme le génie de Cervantes est justement populaire dans toute l’Europe, chacun de nous peut estimer tout à son aise la vérité des personnages. Dans le tableau emprunté à Sterne, l’Oncle Tobie et la veuve Wadman, la finesse des physionomies réduit presque au silence les objections que soulève encore la partie technique de l’exécution. C’est une peinture qui manque de largeur, mais tous ceux qui ont lu et relu Tristram Shandy retrouvent avec bonheur sur la toile de M. Leslie un des épisodes les plus ingénieux de ce livre singulier, qui, malgré la parenté bien évidente qui le rattache à Rabelais, est empreint pourtant d’une véritable originalité.

J’arrive à Eastlake, président de l’Académie royale de peinture, c’est-à-dire au représentant officiel de l’école anglaise. Pour justifier sans doute les fonctions qui lui sont confiées, sir C.-L. Eastlake a cru devoir traiter un sujet grec, le Spartiate Isadas repoussant les Thébains. C’est une œuvre insignifiante, qui ne fournit aucun élément de discussion. Ses Pèlerins arrivant en vue de Rome ont le défaut très grave de n’être ni beaux ni vrais à force de vouloir être jolis. Les pins qui les abritent sont dessinés avec coquetterie, comme les visages des pèlerins. Pour quiconque a vu la campagne romaine et contemplé à loisir les paysans qui viennent passer la nuit sur les