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assez constamment le respect de la ligne et du contour. Aussi qu’est-il arrivé ? M. Mulready, grâce aux dons heureux qu’il a reçus de la nature, est devenu populaire, ou plutôt la mode l’a traité comme un enfant gâté. On ne s’inquiète pas de savoir s’il a étudié sérieusement. Il plaît, il est adopté par les amateurs, et ceux qui s’avisent de discuter la valeur de ses œuvres passent, aux yeux de la foule, pour des esprits chagrins. Pour moi, si je rends pleine justice aux dons heureux de M. Mulready, je ne puis voir sans regret l’usage qu’il en fait. Il est évident qu’il ne tire pas de ses facultés le parti qu’il en pourrait tirer. Il travaille trop vite, et ses œuvres paraissent improvisées. Plus ingénieux qu’habile, plus adroit que savant, il ne s’attache qu’à plaire et dédaigne la réflexion. Puisqu’il a réussi, puisqu’il est applaudi, il peut se moquer de mes objections. Cependant le succès le plus éclatant ne change rien aux conditions de la vérité. M. Mulready ne fait pas tout, ce qu’il pourrait faire, et la sympathie même que son talent m’inspire explique mes regrets.

Les paysages et les marines de Stanfield ont une grande importance dans l’école anglaise, et la renommée qu’il s’est acquise dans son pays sera, je crois, facilement ratifiée par les autres nations de l’Europe. Les Troupes françaises passant à gué la Magra se recommandent à l’attention par de solides qualités. Les terrains sont modelés avec fermeté, l’eau est vive et transparente. Les figures ne valent pas les terrains et sont rendues avec moins de soin ; mais le fond est admirable. Il n’y a qu’un homme familiarisé depuis longtemps avec toutes les difficultés de son art qui puisse traiter un tel sujet avec tant de puissance et de splendeur. Les montagnes sont dessinées de main de maître. Le Château d’Ischia, vu du môle, me plait moins que le Passage de la Magra, Ce n’est pas que j’y trouve moins d’habileté ; mais il me semble qu’en peignant le ciel de cette composition, Stanfield a consulté l’Angleterre plutôt que l’Italie. Ce que je dis du ciel, je pourrais le dire avec une égale justesse des vagues qui occupent le premier plan ; je ne reconnais là ni le ciel d’Ischia ni la couleur de la Méditerranée. Pour jouir librement de cette composition savante, il faut oublier le nom qu’elle porte. À cette condition, la toile de Stanfield n’obtiendrait que des éloges ; mais dès qu’il s’agit d’Ischia, dès que le peintre veut nous montrer les flots de la Méditerranée, nous devons lui dire qu’il s’est trompé sur le choix des tons. Il est probable que ce tableau n’a pas été peint sur les lieux, et que le peintre, en le commençant, n’avait sous les yeux qu’un croquis à la mine de plomb. Si au lieu de ce croquis il eût rapporté une aquarelle rapidement ébauchée, il n’aurait pas donné à la Méditerranée la couleur de l’Océan. Il s’est fié à sa mémoire pour retrouver ce qu’il avait vu, et la mémoire a trompé son espérance. Le ciel et les flots qu’il avait devant lui ont troublé ses