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statuaire dans la peinture. Ce n’est jamais impunément que l’un des arts du dessin met le pied sur le domaine d’un art voisin. Peinture sculpturale et sculpture pittoresque sont tout simplement deux blasphèmes, deux hérésies, que le bon sens réprouve et que le goût condamne.

La. tyrannie de Louis David, qui n’a pas été sans profit pour l’école française, puisqu’elle réagissait contre le goût déplorable du siècle dernier, contre Bouclier, Vanloo et Watteau, avait, en se prolongeant, faussé le goût public et obscurci la notion vraie de la peinture. Elle avait substitué l’étude des statues antiques à l’étude de la nature vivante ; elle n’admettait cette dernière étude qu’en la subordonnant à la première, et cette doctrine inflexible, que tous les élèves de David avaient embrassée avec une ardeur dévouée, donnait à la peinture un caractère constant de raideur dont cet art ne saurait s’accommoder. Maintenant les peintres comprennent que les statues antiques, excellentes à consulter sans doute pour le choix et l’harmonie des lignes, ne sauraient dispenser de l’étude assidue de la nature vivante, et que ce dernier élément d’information est le seul qui puisse donner à leurs compositions une vraie souplesse, un véritable intérêt. Or, si nous recherchons les causes de cette transformation dans le goût public et dans le goût des artistes, nous sommes amené à reconnaître que Rubens et Rembrandt peuvent en revendiquer la meilleure part. Tant que Rubens et Rembrandt ont été considérés comme des hérétiques, la notion de la peinture s’est trop souvent confondue avec la notion de la statuaire. La foule s’était habituée à croire qu’une loi unique régissait les deux arts, et par malheur les artistes partageaient l’opinion de la foule. Parmi les grands maîtres italiens, il y en avait au moins deux qui protestaient par leurs œuvres contre cette aberration, je veux dire Titien et Allegri ; mais Léonard, Michel-Ange et Raphaël, mal étudiés et mal compris, semblaient donner gain de cause aux admirateurs exclusifs de la statuaire antique. Quoique la Cène de Sainte-Marie-des-Grâces, le Jugement dernier de la chapelle Sixtine et l’École d’Athènes ne soient pas conçus d’après les données de la statuaire, l’amour fervent de ces maîtres illustres pour l’harmonie linéaire et pour la forme écrite donnait beau jeu aux esprits inattentifs et leur permettait de prendre les marbres antiques comme législateurs souverains dans la peinture aussi bien que dans la statuaire. Dès que Rubens et Rembrandt ont retrouvé le crédit légitime qui leur appartient, une telle erreur n’est plus permise, car le maître flamand et le maître hollandais, qui n’ignoraient pas l’antiquité, ont consulté la nature vivante avec une prédilection marquée. J’ai donc le droit d’affirmer que nous devons à l’intelligence de ces deux maîtres le redressement du goût public dans toutes les questions qui se rattachent à la notion vraie de la peinture.