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la même intention que lui. Le bateau fut amené, Israël sauta dedans, et neuf autres matelots avec lui.

— Prenez celui qui vous plaira, dit le lieutenant à l’officier du cutter. Vite, choisissez. Asseyez-vous, dit-il en s’adressant aux matelots. Vous êtes bien pressés de vous débarrasser du service du roi. Voyons, avez-vous choisi votre homme ?

— Je prends l’homme à la chevelure rousse, dit l’officier en montrant Israël.

Les neuf camarades d’Israël devinrent pâles de désappointement, et avant qu’il eût eu le temps de se lever tout à fait, il sentit un violent coup de pied que lui envoyait un des matelots refusés.

Le cutter s’éloigna, emportant Israël, et un instant après on avait perdu de vue le vaisseau de guerre. Les officiers du cutter étaient des personnes d’une médiocre amabilité ; l’un envoyait au pauvre Israël de solides coups de pied, et l’autre lui distribuait d’abondans soufflets ; le troisième usait généreusement de ses poings à son égard. Irrité déjà par ses malheurs récens, Israël perdit patience. Voyant qu’il n’avait affaire qu’à trois hommes (deux officiers et le capitaine), il renversa le capitaine, et s’apprêtait à terrasser un des officiers, lorsque le capitaine, se relevant, saisit Israël par sa longue chevelure rousse, en jurant qu’il allait le tuer. Le cutter, pendant ce temps, filait à toutes voiles sur la mer, comme s’il eût été transporté de joie du tapage qui se faisait sur le pont. Au moment où le tumulte était à son comble, un autre navire apparut subitement dans le lointain, et une voix retentissante s’écria : — Mettez en panne et envoyez un bateau à bord.

— C’est un vaisseau de guerre, dit le commandant du cutter très alarmé, mais ce n’est pas un compatriote.

— Amenez un bateau à bord, ou je vous coule, à fond, cria de nouveau l’étranger, et un boulet qui fendit les vagues à peu de distance du cutter accompagna ces paroles.

— Au nom de Dieu, ne tirez pas. Je n’ai pas assez d’hommes dans mon équipage pour envoyer un bateau, répliqua le capitaine anglais. Qui êtes-vous ?

— Attendez que j’envoie un bateau qui vous portera ma réponse, dit l’étranger.

— C’est un ennemi à coup sûr, dit le capitaine ; nous ne sommes pas en guerre ouverte avec la France, c’est donc un pirate. Si nous essayions de lui échapper en faisant force de voiles ? dit le capitaine aux officiers, qui applaudirent à ces paroles. Mais Israël resta immobile, en proie à une violente fièvre d’émotion. Il lui semblait reconnaître la voix qui partait du vaisseau de guerre. Le vaisseau se rapprochait, et ses canons envoyaient leurs boulets de plus en plus près du cutter. Cependant ce dernier pouvait encore échapper. À ce