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de commentaires ou de dépêches qui sont comme un compte-rendu successif à l’opinion générale : tant il est vrai qu’il y a aujourd’hui une conscience européenne devant laquelle chacun se sent responsable de ses actes, et éprouve le besoin d’avoir raison ! C’est devant cette conscience publique que le débat s’agite, que nos soldats combattent, que notre diplomatie poursuit l’accomplissement de sa mission, et que chaque puissance a sa politique à maintenir.

On a cherché à conclure récemment de cette intervention permanente de la publicité, que la presse de l’Occident avait pu exercer une influence nuisible, surtout au-delà du Rhin, en excitant des susceptibilités et des méfiances. C’était certainement exagérer un peu et tirer parti contre la presse de quelques exceptions. S’il s’agissait, dans la guerre actuelle, d’une entreprise exclusivement française ou anglaise, il serait en effet assez inopportun d’aller rechercher ce que pensent ou ce que font l’Autriche et la Prusse ; mais il s’agit d’un intérêt commun, de la défense de l’Allemagne aussi bien que du reste de l’Europe : la presse occidentale a bien le droit d’interroger la politique germanique, et de lui demander ce qu’elle doit faire pour ces principes de sécurité commune auxquels nos soldats seuls jusqu’ici dévouent leur héroïsme et leur sang. Et en vérité ce sang et cet héroïsme ne sont point épargnés. Il y a un an à peine que cette guerre est commencée, et on pourrait prononcer un éclatant éloge funèbre, comme après la première année de la guerre du Péloponèse. Le chef de l’armée anglaise lui-même, lord Raglan, vient de mourir ; il a suivi de près le maréchal Saint-Arnaud, et comme lui il a disparu sans voir la fin de cette campagne de Crimée. Lord Raglan avait soixante-sept ans. Il y avait près d’un demi-siècle que ce vieux serviteur de l’Angleterre était dans les camps. Formé à la guerre sous Wellington, il avait combattu avec lui en Espagne ; il s’était retrouvé à ses côtés à Waterloo, la fatale journée dont le souvenir disparaît dans la gloire fraternelle de l’Alma. Lord Raglan avait supporté ce dernier hiver, si terrible pour l’armée anglaise, et il avait eu à subir l’épreuve, plus cruelle encore, des accusations qui lui revenaient de Londres. Était-ce un grand homme de guerre ? C’était du moins un brave et fidèle serviteur de son pays. « La main qui devait recevoir des récompenses, a dit lord Palmerston, est aujourd’hui froide et raide dans la tombe, » et tous les partis se sont réunis pour honorer cette fin. Lord Raglan a succombé à la même maladie qui emportait le maréchal Saint-Arnaud. Seulement celui-ci mourait au lendemain d’une victoire, le chef anglais est mort au lendemain d’une tentative infructueuse. C’est le général Simpson qui a remplacé lord Raglan à la tête de l’armée anglaise, c’est sous ses ordres que se poursuivent les opérations nouvelles pour reprendre dans des conditions plus favorables l’attaque qui a échoué le 18 juin.

Ce n’est point certes l’intrépidité qui a manqué ce jour-là à nos soldats. Les causes de l’insuccès sont dans le rapport même du général Pélissier. C’est surtout un défaut d’ensemble qui a paralysé l’attaque. Une division s’engageait avant le signal, et son chef, le général Mayran, tombait mortellement blessé dès les premiers instans. Une autre division n’avait point achevé ses dispositions de combat, et tandis que quelques-uns de nos soldats allaient