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commençait à s’en aller vers cinq heures, et la journée se serait passée sans mal, si une bande de quelques centaines de gamins n’avaient pris, pour s’en retourner, le chemin où sont les habitations les plus aristocratiques de Londres, le quartier de Belgrave. Il y avait là beaucoup de cailloux et seulement quelques rares policemen égarés dans la solitude du dimanche. Un nombre Infini de carreaux furent mis en pièces. Nous disions plus haut que c’était le côté le moins sérieux de toute cette affaire, parce qu’en effet si ces scènes de brutalité se renouvelaient, le public reprendrait promptement le parti de la police, et probablement dimanche prochain on verra reparaître une assez grande quantité de constables spéciaux qui protégeront les portes et les fenêtres.

Ce qui est plus grave, c’est le discrédit profond dans lequel sont tombés le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, qui ont abdiqué devant l’intimidation populaire et laissé faire la loi dans la rue. C’est un coup fatal, irrémédiable, porté à des pouvoirs déjà fortement ébranlés. L’exemple ne sera point perdu, et cette première victoire de la menace portera ses fruits. Il faut remarquer aussi le grand changement qui s’est opéré dans les rapports de la police avec le public. Jusqu’à présent ou jusqu’à une période récente, la police anglaise avait conservé un caractère exclusivement, municipal et bourgeois ; elle a pris depuis quelque temps un caractère politique et militaire ; elle s’est centralisée et a passé sous le contrôle du gouvernement ; elle tend de plus en plus à devenir un instrument du pouvoir existant. Un journal anglais, commentant avec tristesse les derniers troubles, disait : « Si importante, que soit la discipline de l’armée, celle de la police l’est encore plus, et si elle vient jamais à perdre la confiance et le respect du public et à exciter la haine populaire, fût-elle trois fois plus forte, elle ne suffira pas pour préserver la paix publique. » Nous avons exposé brièvement la situation telle qu’elle est. S’il n’y avait que le ministère actuel compromis, ce ne serait peut-être pas un grand mal, pour ce qu’il vaut ; mais il y a bien autre chose en question, et il est difficile de prévoir où s’arrêtera cette dislocation générale de pouvoirs et d’institutions qui reposent principalement sur des fictions convenues. Cette Angleterre, avec ses airs rangés et bien ordonnés, nous réserve peut-être les plus grandes surprises de ce temps-ci.


JOHN LEMOINNE.