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qui comprend la ville de Londres. Il s’en était chargé à la requête d’un grand nombre de marchands qui ne demandaient pas mieux que de fermer boutique et d’aller se promener, mais qui voulaient une loi qui forçât tous les autres à en faire autant. En même temps la mesure était soutenue surtout par le parti puritain, méthodiste, calviniste et presbytérien, qui veut rendre les gens religieux par ordre et vertueux par acte de parlement. C’est contre cette espèce de contrainte par corps appliquée aux consciences que le peuple anglais a protesté, et si ce genre de législation continuait, il n’aurait d’autre résultat que de rendre la masse du peuple en Angleterre aussi impie, aussi athée, et aussi païenne qu’elle l’est en Italie par les mêmes raisons. L’aristocratie anglaise n’était pour rien dans l’affaire : elle est en général de l’église établie, qui n’est pas si sévère ; mais comme la loi proposée ne dérangeait point la quiétude ni le libre arbitre des gens riches, elle n’avait rencontré dans le parlement qu’une faible opposition. Quand donc l’opposition populaire s’est manifestée sous la forme d’une clameur contre L’aristocratie, le plus étonné de tous a été lord Robert Grosvenor lui-même, qui croyait de la meilleure foi du monde proposer une mesure démocratique.

Par le fait cependant, la législation du dimanche affecte surtout les classes populaires et les classes pauvres. Les riches ont des maisons de campagne, ils ont leurs clubs qui leur sont toujours ouverts, parce que ce sont des propriétés privées ; ils n’ont pas besoin d’acheter le dimanche, parce qu’ils peuvent avoir des provisions chez eux. L’homme du peuple au contraire, quand il va se promener dans la campagne, n’a pas d’autre maison à lui que l’auberge, et il la trouve close de par la loi ; en ville, il n’a ni club ni cave ; il est payé le samedi soir et n’a pas le temps de faire les provisions du dimanche. Si donc l’on ne peut pas dire que la loi soit faite pour le riche, et à son bénéfice, cependant elle ne l’atteint pas, et elle ne touche que le peuple. Nous croyons devoir donner cette idée générale de la législation du dimanche pour mieux faire comprendre comment elle a servi de prétexte, sinon de raison, aux désordres que nous allons raconter.

Le premier dimanche, c’était le 24 juin, le rassemblement se borna à une vingtaine de mille hommes. Les jours précédens, des affiches placardées sur les murs et des avis publiés dans les annonces de journaux avaient convoqué les populations des quartiers démocratiques à venir voir dans Hyde-Park « comment les aristocrates observaient le sabbat. » Vers deux ou trois heures en effet quelques milliers d’individus qui, par leur mise et leur tournure, appartenaient évidemment à la classe aisée des travailleurs, se réuniront dans les jardins de Kensington. La police avait reçu l’ordre d’empêcher toute réunion organisée et tout discours, parce que les parcs, étant du domaine de la couronne, n’étaient point considérés comme un lieu public. Toutes les tentatives d’éloquence foraine furent donc successivement arrêtées pas l’intervention des policemen, et les rassemblemens formés autour de plusieurs orateurs improvisés se dissipèrent sans tumulte ; mais alors la