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nous attachons ici, autant que possible, à les faire peindre par eux-mêmes, et nous nous bornons à raconter et à citer. L’association pour la réforme administrative, qui est, comme on sait, composée de négocians, de banquiers, et en général de citoyens fort peu hostiles à l’ordre et à la propriété, disait dans son programme : « Nous croyons que le silence du peuple est une cause d’alarme ; nous croyons que si on n’organise pas une expression publique de l’indignation populaire, il se fera bientôt un mouvement dont il est impossible de prévoir les suites. — Là où il y a une souffrance, disait Burke, il faut qu’il y ait un cri, parce qu’il vaut mieux être réveillé par le tocsin que de périr dans les flammes. »

Il y avait donc au fond des désordres populaires de Londres autre chose qu’une protestation contre la législation du dimanche ; il y avait l’expression violente d’un mécontentement général, s’adressant non pas à ici ou ici ministre, mais à toute la classe qui gouverne. Ce qui prouve à quel point le peuple anglais est monté contre l’aristocratie, monté jusqu’à l’aveuglement, c’est que précisément l’aristocratie était entièrement étrangère aux lois contre lesquelles il s’est si violemment insurgé. Ce sont des lois puritaines, des lois méthodistes, que l’aristocratie laissait passer et votait avec indifférence, parce qu’elles ne la gênaient pas, mais dont l’initiative venait des classes moyennes et des régions supérieures de la classe ouvrière. L’exemple en était venu du pays le plus démocratique du monde, ce qui ne veut pas toujours dire le plus libre ; il était venu des États-Unis d’Amérique, où l’observation judaïque du dimanche est imposée en ce moment avec une rigueur qui menace d’y engendrer aussi des guerres civiles. Il y a des états américains où la vente des spiritueux est non-seulement interdite le dimanche, mais interdite tous les jours d’une manière absolue. Dans l’état de New-York, et dans la ville la plus populeuse de l’Union, il y a un article de loi ainsi conçu : « Personne ne mettra en vente le dimanche aucune marchandise, ni fruits, ni légumes, ni aucun article de commerce, excepté la viande, le lait et le poisson, qui pourront être vendus seulement jusqu’à neuf heures du matin. Les articles exposés seront confisqués au profit des pauvres. »

En présence des lois somptuaires et religieuses de la république américaine, les lois anglaises ne sont que des lois de tolérance. Cette assertion peut paraître étrange à quiconque a eu l’occasion de subir un dimanche anglais, c’est pourtant la vérité. Le bill appelé « bill sur la vente de la bière et des liqueurs le dimanche, » qui est en exécution depuis l’année dernière, se borne à faire fermer les tavernes pendant certaines heures. Le bill du dimanche, contre lequel ont eu lieu les récens mouvemens populaires, et qui vient d’être retiré avant d’avoir été voté, avait pour objet d’interdire la vente des objets de consommation, le dimanche, après neuf heures du matin. Bien que cette mesure fût présentée dans le parlement par un membre de L’aristocratie, lord Robert Grosvenor, ce n’est pas lui cependant qui l’avait inventée ; il ne s’en était trouvé chargé que parce qu’il était représentant du comté