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culottes de son mari. — Vous voyez combien j’en ai besoin ; pour l’amour de Dieu, secourez-moi. — Allez-vous-en ! répéta la femme. — Les culottes, les culottes… voici l’argent, répéta Israël à demi fou de fureur. La fenêtre se ferma aussitôt, et le chien de garde, indigné sans doute de voir troubler la paix d’une famille paisible, se précipita sur les basques de l’habit d’Israël, qu’il réduisit à l’état de veste, et sur son chapeau, qu’il défonça complètement.

— Ah ! voilà donc la récompense d’un patriote ! dit tristement Israël en s’éloignant. Il fit une dernière tentative et se rendit chez une autre connaissance, qui heureusement fut plus charitable que les précédentes. Israël raconta à cet homme tout ce qu’il pouvait dévoiler sans indiscrétion, et lui proposa de lui acheter un habit et des culottes, marché que la vue de l’or du squire fit conclure sans difficulté.

— Maintenant, demanda Israël, pourriez-vous me dire où demeurent Horne Tooke et James Bridges ?

— Horne Tooke ? que diable avez-vous à faire avec lui ? dit le fermier. N’était-ce pas un ami du squire Woodcock ? Pauvre squire ! qui aurait cru qu’il dût mourir aussi subitement ? Mais l’apoplexie arrive comme un boulet de canon.

— Je ne m’étais pas trompé, pensa Israël. Ne pourriez-vous donc me dire, reprit-il, où demeure Horne Tooke ?

— Il demeurait autrefois à Brentford, où il portait la soutane ; mais, à ce qu’on m’a dit, il a vendu son bénéfice et est allé étudier le droit à Londres, où vous le trouverez probablement.

— Quelle rue et quel numéro ?

— Je ne sais pas. Il s’agit pour vous de trouver une aiguille dans une meule de foin.

— Et savez-vous où demeure M. Bridges ?

— Je n’ai jamais entendu parler d’aucun Bridges, sauf d’une certaine Molly Bridges, qui demeure dans Bridewell.

Que devait faire Israël ? Il compta son argent et conclut qu’il en avait assez pour aller trouver à Paris le docteur Franklin. Il se rendit à Londres et de là prit la diligence pour Douvres, où il arriva juste à temps pour apprendre que cette même diligence qui l’amenait apportait aux autorités la nouvelle de la suspension indéfinie des relations entre les deux pays. Tout espoir était donc perdu, et la perspective qui se déroulait devant Israël était une perspective de misère et de douleurs. Mourir de faim ou entrer en prison, il n’avait plus d’autre alternative. Pendant qu’assis sur le rivage, les yeux fixés sur la côte lointaine de la France, il était absorbé dans ses pénibles réflexions, un étranger en habit de marin et d’apparence joviale l’accosta familièrement, et, après une courte conversation, l’invita à venir se rafraîchir à une auberge voisine. Le malheur rend