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femme selon la véritable nature humaine, et en y ajoutant la loi chrétienne, arrivent à la gravité douce et pure de la mère de famille. Comment se fait, chez Rousseau, la métamorphose de la femme naturelle en la femme du monde ? Rousseau ne trouve dans la femme naturelle qu’une seule chose, le don de plaire. La femme est faite pour plaire à l’homme ; voilà, selon Rousseau, sa véritable vocation, et les conséquences qu’il fait sortir de cette vocation unique sont curieuses à signaler, moins encore pour leurs effets qu’à cause de leur principe et de leur influence. Expliquons notre pensée par une citation. « La première et la plus importante qualité d’une femme, dit Rousseau, est la douceur : faite pour obéir à un être aussi imparfait que l’homme, souvent si plein de vices et toujours si plein de défauts, elle doit apprendre de bonne heure à souffrir même l’injustice et à supporter les torts d’un mari sans se plaindre… L’aigreur et l’opiniâtreté des femmes ne font jamais qu’augmenter leurs maux et les mauvais procédés de leurs maris. Ils sentent que ce n’est pas avec ces armes-là qu’elles doivent les vaincre. Le ciel ne les fit point insinuantes et persuasives pour devenir acariâtres ; il ne les fit point faibles pour être impérieuses ; il ne leur donna point une voix si douce pour dire des injures ; il ne leur fit point des traits si délicats pour les défigurer par la colère[1]. » À Dieu ne plaise que je critique de pareils préceptes ! Ils sont excellens, et la loi chrétienne elle-même n’en donnerait pas d’autres, mais elle les donnerait autrement. D’où vient en effet que Rousseau exhorte les femmes à la douceur et les dissuade de l’aigreur et de la querelle ? C’est que de cette manière elles manquent à leur vocation naturelle, qui est de plaire, et voilà pourquoi Rousseau leur rappelle en termes si galans tous les moyens qu’elles ont de plaire, cette parole insinuante, cette douce voix et ces traits gracieux et délicats. Oui, la femme doit plaire, qui en doute ? mais ce don de plaire qu’elle tient de la nature n’est pas, quoi qu’en dise Rousseau, sa seule et véritable vocation. Dans l’état de nature et à Constantinople, dans le sérail, il est possible que la vocation de la femme soit seulement de plaire ; mais cette vocation même fait son esclavage. Le don de plaire à l’homme est un des moyens que Dieu a donnés à la femme pour remplir sa vocation ; ce n’est pas sa vocation même : la chose est fort différente. La vocation de la femme, à prendre la véritable nature humaine et la loi de Dieu, est d’être la compagne de l’homme dans la bonne et dans la mauvaise fortune, de l’aider à supporter les maux attachés à la vie humaine et d’être la mère de ses enfans. En tout cela, elle doit plaire ; ce don est un des moyens

  1. Émile, livre V.