Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/43

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

statue. L’homme ne se laissa pas tromper et s’avança résolument la fourche en main. Israël, essayant de combiner à la fois deux stratagèmes, résolut d’agir sur l’imagination du paysan trop curieux. Lorsque ce dernier fut à vingt pas seulement, Israël présenta les deux poings à l’importun en grinçant des dents et en roulant les yeux d’une façon terrible. L’homme s’arrêta un moment fort étonné, mais se remit bientôt en marche vers Israël, qui reprit sa première attitude. Ralentissant alors de plus en plus son pas, le paysan s’avança jusqu’à une distance d’environ trois pieds du faux mannequin, et après l’avoir regardé un moment avec stupeur, il dirigea la pointe de sa fourche vers l’œil gauche d’Israël, qui, convaincu alors de l’inutilité de ses ruses, prit la fuite à toutes jambes. Le curieux obstiné le poursuivit dans sa course. Israël traversa un champ où une douzaine de laboureurs, reconnaissant leur vieil ami le mannequin pourchassé par l’homme à la fourche, levèrent les bras d’étonnement ; mais le fugitif leur échappa et trouva un abri dans un taillis épais où il resta jusqu’à la nuit.

Tourmenté par la faim et impatient de se procurer un habillement convenable, Israël se rendit chez un fermier voisin, qui l’avait, jadis employé, et lui demanda à dîner. Son repas fini, il lui proposa de lui acheter ses meilleurs habits et montra cinq pièces d’or qu’il avait trouvées dans la poche du squire.

— Où avez-vous pris autant d’argent ? dit le fermier fort étonné. Vos vêtemens ne semblent pas indiquer que vous ayez beaucoup prospéré depuis l’époque où vous m’avez quitté.

— Peut-être bien, répondit Israël avec réserve ; mais voyons, qu’en dites-vous ? Voulez-vous me vendre vos habits ? Voici l’argent.

— Je ne sais que vous dire, répondit le fermier avec hésitation. Voyons l’argent. Ah ! une bourse de soie dans la poche d’un mendiant ! Sortez de ma maison, coquin, vous vous êtes fait voleur !

Israël ne savait que répondre. Il ne pouvait évidemment raconter comment cette bourse était tombée en sa possession, ni par quelles aventures singulières il avait passé depuis qu’il avait quitté le service du fermier. Il sortit donc tristement de la maison sans répondre un mot aux injures dont le poursuivit son ancien maître. Il se dirigea vers la maison d’un autre ami, qui jadis l’avait secouru dans les plus pénibles extrémités. Cet ami dormait profondément. Israël frappa à sa porte, mais il ne réussit qu’à éveiller sa femme, personne douée d’une humeur acariâtre, qui, en voyant un misérable à cette heure avancée de la nuit et dans un aussi pitoyable costume, accabla d’épithètes injurieuses le pauvre vagabond. Il supplia en vain la mégère d’éveiller son mari. — Allez-vous-en immédiatement, dit-elle, ou je vais vous arroser. Israël recula prudemment de quelques pas, et supplia la femme de lui vendre une paire de vieilles