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une conséquence malheureuse. Si la commission avait pu librement donner suite à ses projets, elle aurait reconnu indubitablement que tous les gaz ont leur mode spécial de compressibilité, que l’hydrogène se contracte moins et l’acide carbonique plus que l’air, et que l’énoncé de Mariotte n’est qu’une loi d’approximation dont les gaz divers se rapprochent ou s’éloignent plus ou moins sous l’influence de causes perturbatrices individuelles. On aurait restitué à chaque corps ses propriétés propres, au lieu de les confondre tous dans des caractères communs. Ce que Dulong et Arago n’ont pu voir, d’autres physiciens l’ont reconnu, il est vrai, mais plus tard ; ce ne fut qu’après les expériences de M. Despretz et les études plus complètes et plus décisives de M. Hegnault, que la question a reçu sa solution définitive. Il a fallu près de vingt ans de retard, de grandes dépenses d’argent et de travail pour réparer le tort qu’avait fait à la physique le caprice de quelques personnes. Contraints d’émigrer, nos savans transportèrent péniblement leurs appareils dans un asile où la science était chez elle, à l’Observatoire ; mais le long tube ne put être replacé, et la loi de Mariotte fut admise. Heureusement on en savait assez pour continuer, et on s’occupa de la vapeur. C’est ici que commencèrent les dangers.

On fit construire une chaudière en fer, aussi solide, aussi bien fermée qu’elle pouvait l’être alors, on la garnit de soupapes de sûreté, on y versa de l’eau et on la chauffa. Il fallait mesurer à chaque moment la température de la vapeur qui se formait et la force d’expansion qu’elle acquérait ; on ne pouvait songer à introduire dans la chaudière des thermomètres de verre qui se fussent écrasés, on les plongea dans des canons de fusil qui pénétraient dans l’intérieur, et pour connaître la pression, on faisait arriver la vapeur par un tube au-dessus du mercure contenu dans le vase de fonte dont nous avons parlé : elle le comprimait, le faisait monter dans le tube qui était resté plein d’air, et la diminution du volume de ce gaz servait à mesurer la pression de la vapeur. On vit alors qu’à 100 degrés la pression de la vapeur fait équilibre à l’atmosphère ; elle augmente ensuite avec une incroyable rapidité, quand la température s’élève. Elle a six fois plus de puissance à 160 degrés, elle atteint trente atmosphères à 230 degrés. À ce moment, elle exerce sur une surface égale à un mètre carré un effort de 310,000 kilogrammes ; c’est plus que le poids de dix locomotives du plus fort échantillon. Ce nombre donne la mesure des dangers auxquels Dulong et Arago s’étaient volontairement soumis. Ils ne connaissaient, à cette époque, absolument rien de précis sur la résistance des chaudières, ou plutôt ils savaient qu’elles éclatent souvent à des plussions beaucoup plus faibles, ce qui n’était pas une raison pour les rassurer. Ils voyaient l’eau filtrer à travers les parois et s’élancer en