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se lient aux récens progrès de la physique moderne dans une de ses directions les plus fécondes[1], avaient à peu près le même âge et sortaient à peine de l’École polytechnique. À cette institution célèbre, devenue, par un heureux privilège, comme le berceau des savans français, ils avaient recueilli avec le même succès une éducation mathématique profonde, tempérée par l’étude des sciences d’observation. Ils avaient tous les deux apprécié l’importance de l’expérimentation, senti le besoin de la rendre précise, et compris la nécessité d’exprimer les lois naturelles par le langage des mathématiques, qui seul peut les développer et les coordonner. Avec ces élémens communs, ils molliraient des esprits entièrement dissemblables : Petit avait l’intelligence vive, la parole élégante et facile, il séduisait par des dehors aimables, il s’attachait aisément, et s’abandonnait à ses tendances plutôt qu’il ne les gouvernait ; on lui reconnaissait une facilité d’intuition scientifique en quelque sorte instinctive, une puissance d’invention prématurée, présages certains d’un avenir assuré que chacun prévoyait et même désirait, tant était grande la bienveillance qu’il avait su inspirer. Dulong était tout l’opposé ; son langage était réfléchi, son attitude grave et son apparence froide. Une surveillance constante sur lui-même, un sentiment sévère du devoir, enlevaient à sa personne le charme de l’abandon, en lui assurant l’estime de tous ceux qui le connaissaient. Il travaillait lentement, mais avec sûreté, avec une continuité et une puissance de volonté que rien n’arrêtait, je devrais dire avec un courage qu’aucun danger ne faisait reculer. À défaut de cette vivacité de l’esprit qui invente aisément, mais qui aime à se reposer, il avait le sentiment de l’exactitude scientifique, le goût des expériences de précision, le talent de les combiner, la patience de les achever, et l’art, inconnu jusqu’à lui, de les porter jusqu’à la limite possible de l’exactitude. Quand l’âge eut développé les qualités de son esprit et de son cœur, Dulong avait conquis une autorité immense et un respect universel. Tels sont les traits principaux de ces deux hommes célèbres. Petit avait plus de tendance mathématique, Dulong se montrait plus expérimentateur ; le premier portait dans le travail plus de facilité brillante, le second plus de continuité ; celui-là représentait l’imagination, celui-ci la raison, qui la modère et la contient. L’on peut dire que de l’effort commun de ces deux esprits si élevés, mais si diversement doués, appliqué à une même étude, il sortait comme une intelligence unique à laquelle les qualités les plus brillantes et les plus solides auraient été dévolues.

  1. Les études sur la chaleur. Voyez, sur la Chaleur rayonnante et les travaux d’Herschel et de Melloni, la Revue du 15 décembre 1854.