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est l’âge d’or des rois. Les romantiques voulaient la stabilité des trônes par amour pour la stabilité ; les princes la voulaient par amour pour leurs trônes mêmes. Entre les deux partis, c’était l’égoïsme qui servait de trait d’union[1]. »

Ce qu’il y a de certain, c’est que cette période, incontestablement l’une des plus brillantes de la poésie allemande, a toujours été fort impopulaire au-delà du Rhin, et que, pour médire de cet aimable passé, les poètes du présent et les républicains de l’avenir semblent s’être donné le mot. Que signifie pourtant ce mauvais vouloir entêté, cette aigreur atrabilaire de certains esprits contre une école dont il faut bien, en dernière analyse, qu’ils s’avouent les disciples ? Spéculerait-on par hasard sur cette ignorance où nous vivons des vrais maîtres, ignorance qui ne pourrait cesser qu’aux dépens de cette espèce d’originalité qu’on s’arroge ? Le malheur des romantiques, c’est d’avoir, comme on dit, trop remué d’idées et d’avoir par là trop intéressé de gens à nier leur existence. Tel qui passe, aux yeux des générations nouvelles, pour un talent plein d’invention leur doit le meilleur de son bagage, et certes, à ce compte, ce n’est point être si malhabile que de faire pleuvoir sur eux le sarcasme et de représenter leurs œuvres comme un obscur fatras dont les honnêtes gens ne sauraient trop se tenir loin. Étonnons-nous ensuite qu’Arnim soit si peu connu ! Il y a en Allemagne tout un monde pour qui ce grand poète n’est et ne sera jamais que le mari de Bettina, laquelle avait sans doute accaparé tout le génie de la communauté ! Et ce que je ne pardonne pas à la sœur de Clément Brentano, c’est de n’avoir jamais rien fait pour redresser l’opinion du public sur ce point, de n’avoir jamais élevé la voix pour que justice pleine et entière fût enfin rendue à qui de droit. Arnim au contraire ne cessait de parler à tout propos du génie de sa femme, et son enthousiasme là-dessus ne connaissait pas de bornes. « On n’imagine point, écrit une spirituelle contemporaine, Mme Helmine de Chezy, qui avait beaucoup vu le jeune ménage aux heureux momens de la lune de miel, on n’imagine point quel zèle fougueux, quel feu chevaleresque il mettait à proclamer la supériorité de sa femme, dont il s’accusait indigne par les qualités du cœur et de l’esprit, ce qui ne laissait pas de m’amuser légèrement, moi qui les avais connus dès les premiers jours de leur mutuelle tendresse, et qui savais l’amour brûlant et passionné de Bettina pour Arnim à cette époque. Comment faisait ce beau feu, cette ardeur virginale, pour s’accorder avec la correspondance avec Goethe, c’est à Bettina elle-même de l’expliquer, si elle le trouve bon et si la chose lui paraît convenable. Toujours est-il qu’Arnim, âgé de vingt ans environ, était alors une des

  1. Voyez M. R. Prutz, Vorlesungen über die Litteratur der Gegenwart, s. 169.