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pas. Je dis la plupart, car il y en eut dans le nombre que leur romantisme conduisit droit au sanctuaire. Je veux parler de Clément Brentano, qui se fit moine, de Zacharias Werner, qui regrettait qu’il n’y eût pas dans la langue un seul et même substantif pour signifier ces deux choses selon lui synonymes, l’art et la religion, et qui, indigne de voir ses amis Scldeiermacher et Tieck continuer à faire des vers après comme avant, leur tourna le dos brusquement. Je veux parler surtout de Novalis, dont ce serait le cas de citer une belle page, omise dans les œuvres complètes, et que je trouve dans un fragment publié en 1799. « C’étaient de splendides et glorieux temps, écrit, en parlant du moyen âge et non sans quelque fougue ultra-monaine, le chantre inspiré de Henri d’Ofterdinqen, l’Europe alors ne formait qu’un seul pays chrétien ; partout la religion, partout un grand intérêt commun, partout l’autorité ! Aussi, n’insisté-je pas sur la valeur d’institutions dont les bienfaits sont assez démontrés par le développement organique des facultés les plus diverses, par la suprême perfection qu’il fut donné à chaque individu d’atteindre dans la science et dans les arts. Malheureusement, pour ce règne de Dieu sur la terre, l’humanité n’était point mûre, il s’écroula ! Et nous eûmes cette insurrection que l’histoire appelle le protestantisme. Aujourd’hui, au lendemain de la révolution française, au sortir de cette crise universelle de renouvellement, les temps sont venus d’une résurrection fondamentale, et pour quiconque a l’instinct de l’histoire, un pareil fait ne saurait être douteux. La religion enfante dans l’anarchie ; du sein de la destruction, elle élève sa tête glorieuse, et crée un nouveau monde. Nous n’en sommes encore qu’aux préludes, mais ces préludes annoncent au clairvoyant une nouvelle histoire, une nouvelle humanité : le souriant hyménée d’une église jeune avec un Dieu d’amour Les forces temporelles ne sauraient désormais se remettre en équilibre d’elles-mêmes, la religion seule peut régénérer l’Europe. Un christianisme approprié à la vie humaine, un christianisme fait homme, telle fut l’antique foi catholique ; sa présence continuelle dans la vie, son amour de l’art, sa profonde humanité, l’inviolabilité de ses mariages, son infinie compassion, son culte de la pauvreté, de l’obéissance, du devoir, tous ces signes évidemment caractéristiques d’une religion vraie renferment les principes fondamentaux de son organisation nouvelle. Il faut que l’église véritable se constitue, et nous verrons alors naître ces temps d’éternelle paix où la moderne Jérusalem sera la métropole du monde ! »

La réaction religieuse devait naturellement faire cause commune avec la réaction politique, et le romantisme eut son publiciste dans Adam Müller, qui du haut de sa chaire de Dresde reprochait, en 1803, à la politique et à la critique de son temps de n’être qu’une abstraction,