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naturel et réconfortant. Les réserves de la critique faites, et pour ne considérer que l’ensemble de l’œuvre, on n’imagine pas une peinture plus vigoureuse de ces époques semi-héroïques, semi-barbares, un tableau plus puissant que cette large ébauche, où se retrouvent accusés d’une main de maître, de la main de Shakspeare dans Macbeth, les grands traits caractéristiques de ces races destinées a périr, et qui, soit qu’il s’agisse de l’antiquité ou des temps modernes, se meuvent toujours dans un milieu plus ou moins obscur, comme si la nuit historique, la nuit cimmérienne, pouvait seule convenir à ce duel immense qu’elles livrent à la destinée sur le seuil des âges !


II. — HALLE ET JERUSALEM. — LE THÉÂTRE POPULAIRE.

Les drames d’Arnim s’adressent à la masse, au peuple, à ce sens de la poésie et du vrai qui veille éternellement au cœur des multitudes, et que les grands esprits sont toujours certains d’avoir pour auxiliaires dans leur lutte contre la routine et l’empire du faux. Qu’on se figure ce qu’était devenu, vers l’époque où Arnim écrivait l’Auerhahn, le public prétendu littéraire, et de quelles niaiseries sentimentales il faisait son régal. Le règne de la queue (en France nous disons perruque) avait mis en fuite la poésie pour introduire à sa place je ne sais quel pédantisme sermonneur qui s’évertuait à prêcher la morale à la société la plus dissolue. L’histoire et la religion n’existaient plus, pour ainsi dire, que dans la forme, et pour ne pas avoir à s’occuper de Dieu, on l’avait relégué dans une sphère à part, tout à fait en dehors de la nature, où sa présence aurait plus ou moins gêné tout le monde. Maintenant, qu’au sein d’une telle misère quelques généreux esprits aient rêvé de meilleurs jours ; qu’en se tournant, les uns vers le passé, les autres vers l’avenir, ils soient tombés dans une entière contradiction avec leur temps, on ne saurait voir là qu’une simple conséquence des faits, et le romantisme en tout ceci faisait cause commune avec Schelling renversant le système des catégories et proclamant la vie universelle, absolue, avec Schleiermacher retrouvant dans le sentiment religieux les vrais principes du christianisme, avec Fichte évoquant de sa voix de tonnerre l’idée de liberté et d’indépendance nationale.

D’après les nombreux extraits que j’ai cités, d’après la peinture que j’ai essayé de donner de son génie, on peut se faire une idée de la manière dont Arnim comprenait le théâtre, de l’éloignement profond, incalculable qu’il se sentait pour le langage conventionnel, la fausse sentimentalité et les formules bourgeoises des auteurs dramatiques de profession. Remuer des idées, voilà en somme sa grande affaire ; que d’autres passent leur vie à en polir une seule, lui répand