Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/318

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jadis vous vîntes à la Wartbourg avec votre père ! » Après les premiers épanchemens, on songe à trouver un moyen pour introduire au château la belle fugitive sans mettre le vieux duc de Clèves dans la confidence de son équipée. On convient donc que la jeune fille gardera ses habits d’emprunt et passera pour un novice, frère de l’une des dames de la suite d’Élisabeth, ce qui permettra à Jutta de Thuringe d’habiter aux alentours des appartemens de la princesse. À ce moment, les fanfares retentissent, de nouveaux cris de joie éclatent de toutes parts ; Othon a gagné le prix du tir : « Vive Othon, le roi des archers ! » Le duc de Clèves, entouré de ses chevaliers, de sa cour, de son peuple, décerne la couronne d’or ; mais il est une récompense mille fois plus précieuse, à laquelle Othon ne saurait maintenant renoncer. Élisabeth, troublée par le regard souverain du héros, cherche à s’éloigner, le duc la retient, insistant pour que le programme de la fête soit accompli loyalement, et le baiser solennel est donné, baiser fatal qui porte jusqu’au fond du cœur de la princesse l’étincelle d’une flamme inconnue dont lui-même, Othon, ignorait naguère le secret, et qui va désormais le posséder tout entier. Frémissante, éperdue, Élisabeth s’enfuit, fugit ad salices ; Othon reste comme sous l’enchantement d’un songe qui vient de lui révéler sa destinée ; mais son extase est bientôt troublée. Jutta, qui passe toujours pour un jeune novice, est présentée au duc sous le nom de frère Hyacinthe. Elle porte une couronne, gage d’amitié que lui a donné la princesse Élisabeth. À cette vue, Othon sent la jalousie le mordre au cœur. Cet enfant vers lequel l’attirait tantôt quelque sympathie lui devient tout à coup odieux. Plus de doute, c’est un rival, et le voilà s’ingéniant à se créer des fantômes. « On dit que les amoureux de cette sorte ne déplaisent point aux femmes, quant à moi, je ne puis souffrir celui-là. Je le hais à penser qu’il va voir Élisabeth à chaque heure, loger dans le voisinage de ses appartemens, tandis que moi, confondu dans la valetaille !… » Ainsi sa colère s’exalte, sa fureur, concentrée d’abord, tend à se faire jour. Quand Jutta va pour s’éloigner avec la cour, il fond sur elle, et l’étreignant de son poignet de fer : « Pas un mot, pas un mouvement. Cette couronne ! vite, donne-la-moi ; en échange de ces fleurs, je te donnerai ma couronne d’or. Mais il me la faut à l’instant, car elle m’appartient, et serait-elle suspendue aux cornes de la lune, j’irais l’y chercher ! »


« JUTTA. — Bon Dieu ! que de menaces ! Eh ! prenez, prenez ; qui vous la dispute ? Je ne l’ai ni demandée ni méritée ; vous pouvez la mettre à côté de votre couronne d’or que vous avez si bien gagnée, et dont, moi, je n’ai que faire.

« OTHON. — Eh quoi ! tu ne sais pas mieux la défendre ? quand pour un