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Il va sans dire que de l’étrangeté de ces allées et venues, du merveilleux de ces combinaisons, non plus que des invraisemblances de toute espèce à travers lesquelles le drame s’achemine, on n’en saurait beaucoup tenir compte. N’oublions pas qu’il ne s’agit point, ici d’une pièce de théâtre dans les conditions ordinaires, mais d’une chronique mise en action. Faire revivre le moyen âge allemand dans la rudesse épique de ses mœurs et la naïveté de ses croyances, marier l’histoire à la légende, le réel à la fantaisie, voilà, je le répète, le but que se propose Arnim, usant en ceci du large procédé d’un peintre de fresques, et fort disposé d’ailleurs à passer condamnation sur l’inexpérience de certains détails, si l’effet poétique est atteint.

En promettant à son père d’aller à Cologne étudier la théologie et revêtir le froc, Othon a promis plus qu’il ne lui était donné de tenir. À peine sur la route, ses instincts guerriers le reprennent ; un daim lancé part dans la clairière, il l’abat d’un trait ; survient le chasseur furieux qui lui demande compte de son audace, il tue le chasseur, et le voilà menant la vie errante d’un braconnier et parcourant un chemin qui chaque jour le rapproche plus de la potence que de Cologne la Sainte. Ce beau manège dure depuis tantôt deux mois, lorsqu’un matin il débarque sur le territoire du prince de Clèves, en compagnie d’un jeune clerc qu’il a recueilli dans son esquif pendant la tempête. Comment dans ce gentil adolescent qui vient chercher asile à la cour d’Elisabeth, fille du duc de Clèves sa parente, le farouche Othon ne reconnaît-il pas sa sieur Jutta ? — Il faut, pour s’expliquer ce mystère assez étrange, se rappeler que les deux jeunes gens, élevés à distance l’un de l’autre, ne se sont pas vus depuis des années. Tout à coup du haut de la tour des Cygnes résonne un appel de fanfares : « Qu’est cela ? s’écrie Othon. — Singulière demande, » répond une jeune fille qui cueille des fleurs pour la fête, et qui apprend à Othon l’origine de ce tir, institué en souvenir d’un héros des légendes, d’un archer qui, ayant mérité par son adresse la main de l’héritière du duché de Clèves, a disparu le jour même fixé pour la cérémonie du mariage. Ce tir annuel, dont le prix est un baiser donné au vainqueur par la fille du duc régnant, a pour but de ramener le merveilleux tireur qu’on n’a jamais revu. Dès qu’Othon connaît la récompense promise, il quitte Jutta pour courir au lieu de la fête, tandis que la jeune fille, toujours sous son déguisement de clerc, va se présenter à la princesse Elisabeth et lui fait connaître son nom : « Par grâce ne me repoussez pas, je ne suis point ce que vous croyez, mais une pauvre jeune fille de maison souveraine, Jutta de Thuringe, votre parente, échappée des états de son père, et s’il vous faut une preuve, voyez cette chaîne d’or que tout enfant je reçus de vous lorsque