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« GUNTHER. — Il prétend n’en rien savoir. [Exit)

« HENRI LE FERRE. — Tu n’en sais rien, lâche entremetteur ! monstre qui viens de trahir mon sang, tu n’en sais rien ! Avoue-le, misérable, ou tu es mort ! (Il tire son épée.)

« LE FILS DU LANDGRAVE. — Mon père, par les saintes plaies du Christ, je vous le jure, j’ignore le chemin qu’elle a pris ; J’ignore les lieux où sa fuite se dirige.

« HENRI LE FERRE. — Qui a donné la robe ? qui a fourni le manteau et le capuchon sous lesquels ma fille s’est échappée ?

« LE FILS DU LANDGRAVE. — Moi, mon père, moi ; je m’en accuse.

« HENRI LE FERRE. — Et sans doute tu comptais qu’elle s’en servirait pour aller au bal masqué ? Ah ! tu trembles, maintenant que tu te vois découvert. Vilain singe habitué à grimacer des oremus, serpent que j’ai réchauffé dans mon sein, c’est pour le coup que je t’arracherai du sol comme une mauvaise herbe ! Retiens bien ceci, misérable : quiconque a senti le poids de mon bras s’appesantir sur lui dans ma colère est à jamais renié par moi. (Il le frappe de son épée.) »


Cette première rage assouvie, Henri s’éloigne comme un homme ivre, comme un insensé, ne se doutant pas même de l’acte exécrable qu’il vient de commettre ; la brute féroce quitte la place, laissant sur le carreau l’infortunée victime qui mourrait sans secours, si le chancelier, survenu à la dernière minute, et qui a vu tomber le pauvre enfant, ne s’approchait pour l’assister.


« LE CHANCELIER. — Mon prince ! mon cher fils ! oh ! parlez ! Au nom de Dieu, parlez ! Le sang ruisselle de vos tempes, emportant votre vie dans ses flots.

« LE FILS DU LANDGRAVE. — Merci, digne vieillard. Vous voyez la cause, vous, et me la révélez. J’ignorais pourquoi mes forces m’abandonnaient ainsi. Hélas ! dans cette horrible angoisse de ma terreur, je n’avais rien senti et ne me doutais point que la mort fût si proche. Mon malheureux père ! vous le lui cacherez, n’est-ce pas ? Écoutez, je veux me confesser à vous comme si vous étiez un prêtre, mais à une condition, c’est que ce déplorable secret qui me pèse tant, une fois que je vous l’aurai transmis, vous me le rendrez scellé du sceau de votre absolue discrétion, pour que je l’emporte avec moi dans le tombeau. Que jamais mon père ne sache qu’il a versé mon sang, et n’oubliez point que de chaque parole imprudente que vous laisseriez échapper, je vous demanderais compté au tribunal de Dieu !

« LE CHANCELIER. — Quelle main a répandu ce sang, quelle main ouvrit cette blessure, j’atteste que de ma bouche aucun ne l’apprendra. Je me tairai, mais je vous vengerai : ainsi l’ordonne mon devoir de membre de la sainte Vehme.

« LE FILS DU LANDGRAVE. — Par pitié, point de vengeance ! J’ai mérité mon sort ; moi seul ai tout perdu par ma coupable étourderie ; c’est moi qui donnai à ma sœur les vêtemens sous lesquels elle a fui, et quand mon père a tiré l’épée contre moi, il ne voulait que me châtier. Dans la sévérité se manifeste l’amour du père ; celui de l’enfant se montre dans la patience et la