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que les farces populaires ou les moralités dialoguées des âges précédens. Une troupe de comédiens parcourait alors l’Allemagne, jouant les pièces des contemporains de Shakspeare et celles de Shakspeare lui-même. Cette compagnie était composée de jeunes Allemands du comptoir de la Hanse à Londres, lesquels, en rapportant dans leur pays les pièces les plus en vogue d’un répertoire étranger, tentaient tout simplement une de ces spéculations théâtrales comme il s’en est tant vu depuis. Cette fois la spéculation réussit on ne peut mieux : les rois, les électeurs, les villes libres se disputèrent à prix d’or les heureux histrions, qui durent bientôt livrer à l’impression ce fameux répertoire, objet d’un si universel enthousiasme. Un premier volume parut d’abord sous ce titre agréablement diffus : Comédies et tragédies anglaises, ou choix des plus belles pièces, tant comiques que tragiques, sans excepter les facéties et joyeusetés, qui, traduites de l’anglais en allemand, ont, par l’aimable tour de l’invention aussi bien que par l’intérêt historique du drame, charmé les cours des rois et des électeurs, non moins que les villes libres anséatiques. Elles paraissent aujourd’hui imprimées pour la première fois. À ce premier volume un second succéda bientôt, puis enfin un troisième, par lequel l’ouvrage fut complété. Tels qu’ils sont, ces trois volumes, publiés en 1610, contiennent à peu près toutes les origines du théâtre allemand, et forment une sorte de compendium où les générations n’ont pas cessé de venir puiser l’une après l’autre. Des soixante-dix pièces environ qui composent l’Opus Theatricum d’un poète de ce temps, Ayrer[1], il n’en est pas dix, comédies, tragédies ou farces, qui ne se rattachent par le sujet ou les personnages à quelque invention de ce répertoire, à quelqu’un des motifs dramatiques importés d’Angleterre par ces aventureux comédiens. Ce sont eux aussi qui, selon toute vraisemblance, introduisirent en Allemagne le Faust de Marlowe, quoiqu’en général les marionnettes revendiquent l’honneur d’avoir naturalisé en Allemagne la légende de Faust. Cela du reste revient au même, le génie dramatique de l’Angleterre ayant également, et vers la même époque, modifié le répertoire des marionnettes allemandes, qui, régénérées en quelque sorte physiquement et moralement, eurent à dépouiller, comme on dit, le vieil homme, grâce aux ingénieux perfectionnemens apportés dans leur mécanisme.

L’année où mourut Shakspeare, Andréas Gryphius vint au monde, tête de savant qu’un vague rayon de poésie éclaire par intervalle,

  1. Jacob Ayrer, notaire et procureur à Nuremberg, et dont la période dramatique s’étend de 1610 à 1620. L’œuvre de ce poète est un progrès sur celle de Hans Sachs, bien qu’Ayrer se contente d’imiter le vieux théâtre anglais, auquel il emprunte son clown, qu’il reproduit dans toutes ses pièces, et qui deviendra ce fameux Jahn, personnage célèbre dans les Possen (farces) du théâtre populaire allemand.