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car la fabrication de l’eau-de-vie étant affermée par l’état et lui rapportant des sommes considérables, il a grand intérêt à en augmenter la consommation[1]. Toutefois les apothicaireries impériales, dont le gouvernement autorise la construction sur tous les points du pays, présenteraient beaucoup moins de dangers, si les manufactures n’attiraient point dans les villes la population des campagnes. Puisque le gouvernement tenait à répandre la pratique des arts manuels, il aurait dû ne point encourager, comme il l’a fait, la construction des manufactures, et favoriser les travaux industriels auxquels les paysans se livrent en commun depuis un temps immémorial dans leurs villages. On rencontre de ces associations dans toutes les provinces ; elles offrent l’avantage de ne point enlever le paysan à sa famille ni aux travaux des champs. Au lieu de développer la production industrielle sous cette forme nationale, on a préféré introduire en Russie le système de fabrication qui est suivi dans les pays étrangers. C’est encore l’esprit d’imitation qui l’a emporté ; il y a longtemps que la Russie n’a point d’autre guide.

Quelle est en définitive la situation des serfs et des paysans libres en Russie ? — l’affranchissement semble dépendre, pour les uns, d’une réforme de l’administration impériale ; l’amélioration du sort des autres suppose nécessairement une meilleure direction donnée aux travaux industriels. Ce sont là deux graves questions bien dignes de la sollicitude qui s’y attache de plus en plus, et si le gouvernement réussit un jour à les résoudre, les écrivains russes pourront revendiquer l’honneur d’avoir noblement secondé ses efforts. Parmi ces écrivains, M. Grigorovitch est peut-être celui qui a rempli sa tâche avec le plus d’ardeur et de persévérance. On doit espérer que son exemple sera suivi. C’est en marchant dans cette voie que la littérature russe peut se créer des titres réels, non seulement à l’intérêt de son propre pays, mais à l’attention des lecteurs européens.


H. DELAVEAU.

  1. En 1837, on comptait déjà 1 cabaret pour 701 âmes dans les domaines que la couronne possède au centre de l’empire, tandis que cette proportion n’était que de 1 pour 2,691 dans les propriétés particulières.