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— Je suis John Woodcock, dit le squire, et ces deux messieurs se nomment Horne Tooke[1] et James Bridges. Nous sommes tous trois des amis de l’Amérique ; nous avons entendu parler de vous et nous avons l’intention de vous charger d’une mission qui ne pourra vous déplaire, car assurément, quoique exilé, vous désirez encore servir votre pays, et vous le pouvez, sinon comme marin ou comme soldat, au moins comme voyageur.

— Dites-moi ce que je dois faire, demanda Israël, qui ne se sentait pas parfaitement rassuré.

— Vous le saurez plus tard, répondit le squire ; pour le moment, je ne vous poserai qu’une question. Vous fiez-vous à ma parole ?

Israël regarda le squire, puis ses compagnons, et rencontrant l’expressive, enthousiaste et candide physionomie d’Horne Tooke, qui était alors dans tout le feu de ses débuts politiques, il n’hésita plus. — Monsieur, reprit-il en se tournant vers le squire, je crois à ce que vous me dites. Maintenant que dois-je faire ?

— Oh ! il n’y a rien à faire de ce soir, ni peut-être de plusieurs jours. Nous voulions seulement vous avertir.

Le squire fit entrevoir vaguement son intention, et pria Israël de leur raconter ses aventures. L’exilé s’y prêta volontiers, sachant que tous les hommes aiment à entendre le récit de souffrances subies pour une cause juste. Avant qu’il eût commencé son histoire, le squire lui versa un verre de poiré et renouvela trois fois la dose pendant tout le cours de la narration ; mais après le second verre Israël refusa de boire davantage, car il avait remarqué que ses hôtes le pressaient de questions, et il se tint sur la défensive. Le squire et ses amis furent enchantés de cette réserve ; ils avaient trouvé un homme à qui ils pouvaient se fier. En conséquence ils lui exposèrent leur plan. Israël voulait-il se charger de porter à Paris un message au docteur Franklin, qui se trouvait dans cette capitale ? — Toutes vos dépenses seront payées, sans compter l’immunité à laquelle vous aurez droit, dit le squire. Voulez-vous partir ? — J’y penserai, répondit Israël, qui n’était pas encore parfaitement rassuré ; mais il rencontra de nouveau le regard d’Horne Tooke, et toutes ses irrésolutions s’évanouirent. — Le squire lui enjoignit alors de changer de demeure jusqu’à son départ, afin d’éviter tout soupçon, et lui mit une guinée dans la main avec une lettre pour un gentilhomme de White-Whaltam, chez lequel il devait loger en attendant des ordres ultérieurs. Ces instructions une fois données, le squire le pria de lui tendre son pied droit.

— Pourquoi faire ? dit Israël.

  1. Horne Tooke, célébre politique et philologue anglais, qui, à l’époque de la révolution, se montra chaud partisan de la cause américaine.