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titre réel à notre curiosité. Il faut arriver à la première moitié du XVIIe siècle pour rencontrer de véritables essais de roman populaire. Le conte intitulé Sava Groudtsine a un caractère vraiment russe. L’auteur inconnu met en scène un jeune marchand qu’un désespoir d’amour décide à pactiser avec le diable, qui lui promet les plus grands succès, pourvu qu’il se donne à lui par un acte en règle. Le jeune homme y consent, et en effet, à partir de ce moment, tout lui réussit. Il s’engage comme soldat dans les troupes du tsar Mikhaïl Fedorovitch, marche sur Smolensk et y fait des prodiges de valeur. Une maladie grave vient enfin le rappeler à des pensées de repentir et de pénitence. Après de longues souffrances, Sava se rétablit et échappe au pouvoir du diable. Il finit ses jours en paix, et s’efforce de l’acheter sa faute par toute sorte de bonnes œuvres.

Au commencement du XVIIIe siècle, on voit paraître un autre roman, Frol Skobief, tout à fait national pour le fond et pour la forme. Une rapide analyse fera saisir aisément toute l’originalité de cette conception. Le seigneur Frol Skobief habite avec sa sœur le district de Novgorod. Débauché et sans fortune, il noue une intrigue amoureuse avec Anouchka, fille d’un riche sltlnik[1] du voisinage, Nadine Nachtchokine. La duègne d’Anouchka se laisse corrompre, et Skobief pénètre sous des vêtemens de femme dans le château, où une fête donnée par Anouchka réunit toutes les jeunes filles des environs. Le jeu de la mariée fournit à Skobief une excellente occasion de mener à fin ses projets criminels. Les deux époux qu’on a désignés sont Anouchka et Skobief. Les jeunes filles conduisent le couple en grande pompe dans la chambre nuptiale, et s’éloignent. Quand elles viennent chercher les prétendus mariés, Anouchka est visiblement émue, et Skobief a pu s’apercevoir que sa passion était partagée. Quelque temps après cette fête, Anouchka est rappelée à Moscou par son père, qui veut lui trouver un mari. Elle se rend en Bâle dans la capitale. Skobief la suit. Les deux amans recourent à mille artifices pour multiplier les occasions de se voir. La fille du stolnik disparaît enfin de la maison paternelle avec Skobief, à qui l’unit un mariage secret. Le vieux Nachtchokine court chez le tsar, qui lui a toujours témoigné beaucoup d’affection, et lui apprend son malheur. Le tsar fait publier un avis proclamant la disparition d’Anouchka. Skobief commence à s’effrayer ; il se rend chez un de ses amis, le stolnik Lovtchikof, lui avoue toutes ses fautes, et lui demande conseil. — Amende-toi, lui dit le stolnik. Tu t’es mis dans une fâcheuse position ; mais je ferai ce que je pourrai pour t’en tirer. — Il lui donne ensuite rendez-vous pour le lendemain au sortir de la messe

  1. Officier de bouche des tsars.