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LE ROMAN
DE MŒURS POPULAIRES
EN RUSSIE


M. GRIGOROVITCH.


Il y a tout un aspect de la Russie que les voyageurs n’observent guère, mais dont les conteurs nationaux commencent avec raison à se préoccuper : nous voulons parler des mœurs des paysans. « Le souvenir de nos villages, dit un écrivain russe peu disposé à juger favorablement son pays[1], n’a point été effacé de ma mémoire par les environs de Sorrente et de Rome, ni même par les vallées des Alpes et les gras pâturages de l’Angleterre. La campagne en Russie a un caractère qui lui est propre. Ces plaines sans fin, couvertes d’une verdure uniforme, respirent le calme et la confiance : elles font pénétrer dans l’âme une émotion douce et triste. On éprouve un indicible bonheur à s’asseoir, à l’entrée d’un village russe, à l’ombre d’un bouleau ou d’un tilleul. Devant vous s’étend une longue rangée d’isbas (cabanes), qui, pressées l’une contre l’autre, semblent disposées à brûler ensemble plutôt que de se séparer. L’air est embaumé par la fumée des séchoirs, par l’odeur des meules de foin que le soleil échauffe dans les prés, et par les émanations de la forêt voisine. Rien ne trouble le silence, rien, si ce n’est le grincement rauque

  1. M. Alexandre Hertzen. Voyez, sur les romans de M. Hertzen, la Revue du 1er  septembre 1854.