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— Oh ! c’est par trop étrange, dit le baronnet. Encore monsieur !

— Eh ! l’ami, dit vivement un domestique en Rapprochant, le gentilhomme s’appelle sir John Millet.

Le bon baronnet néanmoins sembla prendre pitié du pauvre jeune homme, et répondit à Israël que, s’il voulait revenir le lendemain, il lui fournirait une houe et lui donnerait de l’ouvrage. Encouragé par cette promesse, Israël se rendit à la boutique d’un boulanger, bien résolu à dépenser sans compter le peu d’argent qui lui restait pour satisfaire sa faim. Il déposa donc hardiment ses quatre pennies sur le comptoir, et demanda du pain. Il avait eu d’abord l’intention de ne manger qu’un de ses deux pains, et de réserver l’autre pour le lendemain ; mais lorsqu’il eut dévoré le premier, son appétit se trouva tellement aiguisé, qu’il perdit toute prudence, et engloutit aussi le second ; puis, ce repas terminé, il alla passer la nuit sur le sol nu d’une remise. Aussitôt que le jour parut, Israël se leva. Accoutumé à devancer le réveil de l’alouette, il fut très surpris, en approchant de la maison de sir John Millet, de voir que personne n’était encore debout. Il était quatre heures ; il se promena longtemps devant la maison. Enfin un domestique parut, et lui apprit que les ouvriers ne se mettaient à l’ouvrage qu’à sept heures. Il se coucha sur un tas de paille, et dormit jusqu’au moment où le remue-ménage de l’activité humaine, toujours si alerte au réveil, vint l’avertir qu’il était temps de mêler son bourdonnement à celui des autres abeilles de cette ruche. — l’intendant lui donna une houe et une fourche ; mais Israël était si faible, qu’il pouvait à peine tenir ses outils. Il fit tous ses efforts pour cacher sa faiblesse, et finit par être obligé de confesser sa situation. Ses compagnons se montrèrent compatissans et l’exemptèrent du travail le plus rude. Vers midi, le baronnet visita ses ouvriers ; remarquant qu’Israël faisait peu d’ouvrage, il lui dit que, quoiqu’il eût de larges épaules et de longs bras, il n’aimait guère le travail. Un des ouvriers vint au secours d’Israël, et raconta tout au gentilhomme, qui immédiatement ordonna qu’on allât à l’auberge la plus voisine, et qu’on achetât un gain et un pot de bière. Ainsi restauré, Israël travailla jusqu’au soir avec ses compagnons.

Au retour des ouvriers, sir John recommanda qu’un souper fût apprêté pour Israël, et qu’un lit fût préparé pour lui dans la grange. Le lendemain il lui permit de dormir la grasse matinée, afin de refaire ses forces et d’être mieux en état de reprendre son travail.

Ce même jour, vers midi, Israël trouva sir John qui se promenait seul dans le jardin. Craignant d’être indiscret, il allait se retirer ; mais le baronnet lui fit signe d’avancer et fixa sur lui un regard si pénétrant, que le pauvre Israël trembla de tous ses membres. Ses