À l’autre extrémité du village, il rencontra un chariot vide qui se rendait précisément à Londres. Israël supplia le charretier de permettre à un pauvre boiteux de profiter de sa voiture ; il monta, mais au bout de quelques minutes, trouvant que la voiture allait avec une déplorable lenteur, il demanda à descendre, jeta sa béquille, et s’éloigna rapidement à la grande stupéfaction de son naïf ami le charretier.
À la tombée de la nuit, après son troisième jour de marche, Israël chercha de nouveau un asile dans une grange, dormit passablement et se leva de bon matin dans l’espoir d’arriver avant midi au lieu de sa destination. En se voyant si près du terme de son voyage, Israël oublia un peu la prudence dont jusqu’alors il avait fait preuve. Mal lui en prit. Vers dix heures du matin, en passant par la petite ville de Staines, il se trouva subitement en face de trois soldats. Malheureusement, lorsqu’il avait changé d’habits avec le vieux terrassier, il n’avait pu se décider à comprendre dans le troc sa chemise, laquelle portait la marque de la marine anglaise ; il avait bien caché le collet, pas si bien pourtant qu’il ne fût encore trop apparent. Ces soldats, possédés de l’idée fixe de trouver des déserteurs et de gagner la récompense promise, avaient l’esprit d’observation très aiguisé, et avec un coup d’œil de lynx ils aperçurent le fatal collet.
— Ah ! mon garçon, dit l’un d’eux, vous êtes un des marins de sa majesté. Venez avec nous.
Incapable de donner aucune bonne raison, Israël fut déposé dans la prison réservée aux déserteurs et aux détenus coupables de simples délits. Il y passa toute la journée sans prendre aucune nourriture, et pourtant, depuis trois jours, il n’avait mangé qu’un pain de deux sous. Les tortures de la faim devinrent de plus en plus vives, et le courage allait l’abandonner, quand il fit sur lui-même un dernier effort, et songea sérieusement aux moyens de se tirer de cette mauvaise situation. Après avoir frotté pendant deux heures ses menottes contre les barreaux de la fenêtre, il parvint à s’en débarrasser. La porte n’était pas soigneusement fermée, il l’ouvrit sans grande peine, et vers trois heures du matin il était de nouveau en liberté.
Peu de temps après le lever du soleil, il passa près de Brontford, situé à six ou sept milles de la capitale. Mourant de faim, il cueillit de l’herbe et la mangea. Lorsqu’il s’était échappé du ponton, il possédait pour toute fortune six pennies[1]. Il en avait employé deux à
- ↑ Idiotisme américain sans doute, le mot anglais penny (deux sous de France) faisant pence au pluriel.