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basse de M. Obin, qui abuse cependant des notes suspendues et trop longtemps prolongées. Le duo pour soprano et ténor entre la duchesse Hélène et Henri est d’une bien grande pauvreté de style et d’harmonie dans tout ce qui précède la jonction des deux voix, qui exhalent alors un charmant nocturne avec un point d’orgue harmonisé Rien ingénieux pour une situation aussi grave. Pour un compositeur qui vise surtout à la logique dramatique, ce joli madrigal est-il bien à sa place dans la touche d’une femme et d’un jeune homme obscur qui se promettent de longues et fidèles amours, après avoir versé le sang des oppresseurs de la Sicile ? Eh ! mon Dieu ! M. Verdi a fait comme tous les esprits systématiques : il est souvent et très heureusement inconséquent. Le finale du second acte exige, pour qu’on puisse en apprécier le mérite, qu’on définisse la situation des différens personnages qui remplissent la scène. Sur cette même plage où vient d’aborder le conspirateur Procida se trouve une chapelle de sainte Rosalie, qui est l’objet d’un culte populaire. Douze fiancées du pays et douze garçons arrivent en dansant pour célébrer leur union prochaine. Ce spectacle affriande les soldats français, qui, excités par les railleries provoquantes de Procida, dont le plan est de soulever l’indignation de la foule, enlèvent les Siciliennes comme jadis les Romains out enlevé les femmes des Sabins. Les maris et les amans outragés s’avancent sur le devant de la scène en exprimant leur indignation dans une sorte de récit entrecoupé et vigoureux :

Interdits, — accablés — et de honte — et de rage…

Pendant que cet ensemble se déclame sourdement, on entend derrière les coulisses un chant d’allégresse, et puis on voit arriver au fond, sur une mer d’azur, une tartane remplie de soldats français et des femmes enlevées, qui paraissent se consoler de leur esclavage en chantant une barcarolle ravissante de rhythme et de couleur mélodique :

O bonheur ! ô délice !
Plaisir, sois-nous propice !

Après quelques mots de récitatif échangés entre Procida, Hélène et des hommes du peuple, le chant de fureur recommence et s’unit à la barcarolle, et les deux motifs forment un ensemble d’un très bel effet qui termine le second acte.

Nous sommes au troisième acte, dans le palais du gouverneur, à Palerme, où Henri a été conduit de force après avoir refusé de se rendre à l’invitation de Guy de Montfort. Un duo pour ténor et baryton entre le lieutenant de Charles d’Anjou et le jeune Henri, dont Guy s’efforce de captiver la tendresse, en lui apprenant qu’il est son père, contient d’assez bons passages, entre autres cette phrase que chante le gouverneur :

Quand ma bonté toujours nouvelle
L’empêchait d’être condamné,


et le premier ensemble où les deux voix se réunissent dans une phrase ample et pleine d’émotion :

Pour moi, quelle ivresse inconnue,
De contempler ses traits chéris !