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Est-ce assez ? Oui, sans doute, si l’on ne peut pas faire davantage, mais il serait bien à désirer qu’on pût doubler, tripler même ces dépenses fécondes. Tout un ordre de voies nouvelles, les chemins ruraux, réclament impérieusement des allocations ; 10,000 kilomètres de chemins de fer sont concédés, mais 5,000 à peine sont ouverts, et ce n’est pas 10,000 kilomètres qu’il faut à la France, mais 40,000 pour être seulement arrivée au point où en est aujourd’hui l’Angleterre. Si l’on ne va pas plus vite, il ne faudra pas moins de cinquante ans pour les faire ; on parle beaucoup des chemins de fer, on ne travaille pas en proportion ; on n’a ouvert que 600 kilomètres nouveaux en 1854, et on n’en ouvrira probablement pas beaucoup plus en 1855. Nous sommes encore bien en arrière de l’Allemagne elle-même. Espérons que, quand il aura été possible de faire la paix, tous ces travaux seront poussés avec plus d’énergie. Espérons aussi que notre pays ne se passera plus la fantaisie de révolutions radicales. L’agriculture ne peut fleurir qu’à ces conditions. Les capitaux ne sont pas instinctivement attirés vers elle ; il suffit du moindre courant pour les détourner. Sa réputation n’est pas bonne sous ce rapport ; elle passe pour un gouffre qui absorbe et ne rend rien. Le public français ne sait pas bien faire la distinction entre l’argent placé en terre, qui ne rapporte en effet que 2 à 3 pour 100, et l’argent placé dans la culture, qui doit rapporter 8 ou 10. Tout a contribué à implanter sur les deux tiers de notre sol une ignorance et une pauvreté tenaces, qui résistent encore à toute amélioration, même quand les causes s’atténuent ou disparaissent. Quand on songe à ce qu’il faut de capitaux pour le moindre progrès agricole et à tous les obstacles qu’ils rencontrent, on ne s’étonne pas de la lenteur de notre marche. Même en supposant un placement à 10 pour 100, ce qui est beaucoup pour une moyenne, il ne faut pas moins de 10 milliards pour augmenter nos produits agricoles d’un cinquième, il en faut 50 pour les doubler comme en Angleterre.

On voit qu’une nation ne peut pas se proposer une œuvre plus gigantesque ; il n’en est pas non plus de plus utile. Avec le progrès agricole, tout grandit : le commerce, l’industrie, la population, la puissance ; sans lui, tout est arrêté. Le système des expositions peut contribuer à accélérer le mouvement, mais il ne peut pas le produire à lui seul. Le concours de cette année prouve du moins que l’agriculture française fait à peu près tout ce qu’elle peut dans la condition où elle se trouve, et qu’elle est prête à de nouveaux efforts, pour peu que les circonstances générales lui soient propices.


LEONCE DE LAVERGNE.