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blessé de voir ses ennemis se conduire aussi peu délicatement envers un malheureux prisonnier, mais toujours absorbé par son unique pensée, consent à danser, en se promettant de leur exécuter certains pas yankees de son invention. Les habitués de l’auberge ne lui permirent de s’arrêter que lorsque le souffle lui manqua et que la sueur ruissela de ses membres. Enfin ils se retirèrent. On mit les menottes au prisonnier, et on étendit une couverture auprès du lit de ses gardiens afin qu’il pût reposer. Quelques heures se passèrent dans un parfait silence. Le moment d’exécuter ses plans était venu, ou jamais. Les deux soldats étaient sous l’influence des liqueurs qu’ils avaient bues. Malheureusement Israël était garrotté. Comment faire ? Il se décida à employer la ruse et à réserver la force comme dernière ressource. Un murmure se fit entendre ; Israël prêta l’oreille : c’était un des soldats qui parlait dans son sommeil. — Empoignez-les ! disait-il, saisissez-les ! ah ! ah ! de grands sabres ! Attrape ça, déserteur !

— Qu’avez-vous donc, Phil ? répondit d’une voix coupée par le hoquet son camarade, qui n’était pas encore endormi. Tenez-vous tranquille, s’il vous plaît.

— Je vous dis que c’est un prisonnier évadé ! Attrapez-le, attrapez-le !

— Allez au diable avec vos rêves d’ivrogne, dit encore son camarade. Voilà ce que c’est que de trop boire.

Quelques minutes après, le rêveur dormait profondément, et ronflait d’une manière retentissante. Quant à celui qui était éveillé, le bruit particulier de sa respiration avertit Israël que son insomnie était due aux mêmes causes que les rêves de son camarade. Il délibéra un instant pour savoir ce qu’il avait à faire. Enfin, appelant les deux soldats, il leur dit qu’une nécessité pressante l’obligeait de sortir.

— Allons, debout, Phil, cria le soldat qui était éveillé ; notre homme a besoin de sortir. Dieu damne ces Yankees ! quelle mauvaise éducation ! Diable d’Yankee, ne pourriez-vous pas être plus convenable ?

Ils se levèront tout en grommelant, et, saisissant Israël chacun par un bras, l’accompagnèrent au bas de l’escalier. La porte ne fut pas plus tôt ouverte, que le prisonnier, prompt comme l’éclair, se débarrassa de ses deux gardiens et s’élança au milieu des ténèbres. Le jardin n’avait pas d’issue, mais un arbre s’élevait le long du mur : Israël grimpe en dépit de ses menottes, se laisse couler en dehors du clos et fuit à toutes jambes, pendant que les deux soldats errant dans les allées poussaient le cri d’alarme.

Après avoir couru l’espace de deux ou trois milles, Israël s’arrêta pour se débarrasser de ses menottes, ce qu’il ne fit pas sans de grandes difficultés. L’aurore se leva, et il se trouva dans une belle campagne